Culture et écologie à Grenoble : on fait le bilan (carbone)

Dossier / Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas dans les bars de festival… Tour d’horizon des doutes, des constats et des initiatives.

C’est un sujet sur lequel tout le monde nous a volontiers répondu, mais avec une franche humilité, un doute assumé qui n’est pas habituel dans le monde bien rodé de la communication culturelle. Après plusieurs étés étouffants, la sécheresse, les incendies, la prise de conscience générale du changement climatique a convaincu le secteur culturel de se questionner sur ses pratiques. Mais tout cela est très récent : « On est comme tout le monde, on sent que le sujet de l’urgence climatique est plus présent depuis environ deux ans, dans la société comme dans la culture. Quand on parlait de ces questions-là avant le Covid, on passait parfois pour des relous écolos-engagés. Depuis l’après-Covid, les discussions sont plus simples et acceptées par tout le monde », remarque Damien Arnaud, programmateur de l’association Retour de Scène qui organise le festival Magic Bus à Grenoble. Face au défi intimidant de la transition, le milieu s’organise comme il peut, entame des réflexions, amorce des bouleversements, mais avec beaucoup d’incertitudes : « Une fois qu’on a fait tout ce qui nous semble possible, on se demande quand même ce qu’on peut faire de plus », ajoute Damien, pensif. Sylvain Nguyen du Périscope, organisateur du festival Holocène, confie : « On sait qu’on n’est pas clean sur tout. On vit tout le temps dans la culpabilité. Quand on aborde ce sujet, on a peur d’être accusé de faire du greenwashing ou de ne pas être assez radical. »

S’il ne s’agit pas de déculpabiliser les acteurs de la culture, il faut tout de même préciser que le secteur n’est pas un monstre de pollution. Selon David Irle, co-auteur de Décarboner la culture, livre de référence sur le sujet (voir interview ici), « un gros festival comme les Vieilles Charrues, ça représente environ 15 000 tonnes d’équivalent CO₂. Les équipements culturels les plus imposants dépassent rarement les 4000 tonnes par an. En comparaison, les Jeux Olympiques de Paris, c’est 1, 5 million de tonnes pour 15 jours, la Coupe du monde au Qatar environ 3 millions et une seule centrale à charbon qui tourne pendant un an, c’est 20 millions de tonnes ». Un constat qui ne doit cependant pas empêcher la culture de se verdir, pour le bien de la planète, mais aussi – et surtout – pour assurer sa pérennité dans un avenir incertain. Comme le note l’association écolo The Shift Project dans son rapport sur la question : « Ces émissions traduisent la vulnérabilité du secteur culturel face aux chocs énergétiques et climatiques. Sans prise en compte de cette vulnérabilité, nous, professionnels et publics de la culture, sommes en danger. »

Pollueur n° 1 : le public

Comme toujours avant d’élaborer une stratégie, il faut poser un diagnostic. En l’occurrence, faire un bilan carbone afin de déterminer les postes les plus polluants sur lesquels il est urgent d’agir. Dans l’agglomération, la MC2 est en train de le réaliser et La Belle Électrique a pour objectif de constituer un dossier pour en établir un avant la fin de l’année. D’autres comme la Ville de Grenoble pour le musée éponyme ou l’Hexagone de Meylan ont d’ores et déjà effectué ce bilan carbone. Leurs résultats confirment les observations menées au niveau national par The Shift Project : « Notre plus gros pôle carbone, pour 65%, ce sont les déplacements du public, ensuite ce sont les trajets quotidiens de nos équipes, puis la mobilité des artistes », détaille Jérôme Villeneuve, directeur de l’Hexagone. Pour ce qui est du musée de Grenoble, « on savait déjà que ce bâtiment était le plus énergivore de la Ville. Mais sans surprise, au-delà de la consommation énergétique, le bilan carbone montre que la grosse part d’émissions est issue des déplacements des visiteurs », affirme Lucille Lheureux, adjointe aux Cultures.

C’est donc avant tout sur cet axe qu’il faut travailler pour inciter le public à venir en transports doux. « 80% du public de l’Hexagone vient en voiture pour moins de 5 km. Il y a une barrière psychologique énorme pour les gens qui ont l’impression que l’Hexagone, c’est loin. Et puis on s’est rendu compte qu’on n'avait que 12 places de parking à vélo, donc on a fait venir 240 nouvelles places. On travaille aussi avec le Smmag pour développer l’équivalent du billet d’entrée pour un match au Stade des Alpes valant titre de transport. » À la MC2, le directeur Arnaud Meunier réfléchit aussi à cette dernière piste et aimerait « densifier un peu les trams au moment de la sortie des spectacles » ou encore « inciter au covoiturage avec des réductions sur les tickets ».

Pour le musée, Lucille Lheureux estime « qu’on ne pourra que modérément agir sur les déplacements des visiteurs, dont pas mal font du tourisme dans la région… Donc plus globalement, on va avoir une réflexion sur les usages. En plus de la fonction de musée, qu’est-ce qu’on pourrait imaginer dans cet espace très vaste pour, sans forcément diminuer l’empreinte carbone de cet équipement, plutôt diminuer celle globale de la collectivité en y insérant d’autres fonctions ? » Sylvain Nguyen, quant à lui, « demande depuis trois ans des navettes retour » pour son festival Holocène, sans succès.

Magic Bus pour la décroissance

Les festivals, justement, sont particulièrement dans le viseur des experts du climat. Souvent pris dans une course à l’expansion afin de continuer à attirer les têtes d’affiche, ils ont tendance à générer de plus en plus de déplacements, avec un public venant de plus en plus loin. À Grenoble, le modeste festival Magic Bus a décidé de prendre le contrepied, aussi pour des raisons économiques : « Cette course au plus gros n’a plus trop de sens pour nous. On renonce aux grosses têtes d’affiche pour une programmation plutôt "découverte" en misant surtout sur une ambiance, ce qui devrait attirer un public plus local. Jusqu’alors, la moitié des spectateurs venaient de l’extérieur de l’agglomération », explique Damien Arnaud.

Il y a la mobilité du public, mais aussi celle des artistes qui pèse dans la balance carbone. « Quand on a une équipe artistique, plutôt qu’on soit les seuls à les faire jouer, on discute avec les autres théâtres pour essayer de monter des tournées cohérentes. Par exemple, on est en dialogue resserré avec la Comédie de Clermont-Ferrand et la Maison de la danse de Lyon », témoigne Arnaud Meunier de la MC2. Jérôme Villeneuve s’est lancé le défi de construire une tournée pour chaque artiste étranger – qui vient donc de loin, parfois en avion – qu’il souhaite programmer : « L’année prochaine, j’ai des Taïwanais qui viennent, donc un sacré bilan quand tu commences à poser le CO₂ sur la table… Je leur ai déjà trouvé neuf dates dans sept lieux pour un mois de tournée en France. » « Dans la musique, ça fait longtemps qu’on est dans des logiques de tournées économiquement intéressantes, et donc écologiquement aussi. Aujourd’hui, on arrive de plus en plus à convaincre les artistes de prendre un hôtel à la gare pour qu’ils arrivent en train. L’avion c’est rare, sauf pour les DJ qui, eux, consomment beaucoup d’avion », constate Florent Perrier, référent écologie à la Belle Électrique.

Finis les caprices de star ?

Tous ressentent aussi un changement dans les pratiques des artistes : les demandes ahurissantes dans les riders (qui répertorient ce qu’un artiste souhaite manger ou boire dans sa loge) se font plus rares et certains demandent même spécifiquement de la nourriture bio et locale. En effet, l’alimentation est aussi un poste important de l’empreinte carbone du secteur culturel. « On sent une prise de conscience, on voit moins de marques de bière qui partent dans tous les sens dans les riders. Mais il y a quand même encore beaucoup de contradictions entre ce qu’ils affichent sur les réseaux sociaux et la réalité. Les DJ, clairement, ils vivent dans un autre monde, ils sont capables de prendre quatre avions dans le week-end », raconte Sylvain Nguyen, qui programme des musiciens rap et électro à Holocène.

Mais, hormis cet univers à part de l’électro bling-bling, les mentalités évoluent, notamment vis-à-vis du régime alimentaire. Car ce qui pollue, c’est la viande. Il faudrait donc généraliser les repas végétariens pour le public et le catering. « Nous, à terme, on aimerait faire en sorte que le catering végétarien soit la norme. Quand on a accueilli la chanteuse Pomme, sur la vingtaine de personnes que comptait son équipe, il y avait un seul repas carné, c’était le chauffeur du bus », relate Fred Lapierre, directeur de la Belle Électrique. Damien Arnaud dresse un constat similaire : « Il y a encore quelques années, ça dérangeait des artistes et des techniciens qu’on ne serve pas de viande. Maintenant, ce n’est plus le cas. C’est même plutôt devenu has been de râler pour ça. »

Aujourd’hui, l’ensemble des acteurs que nous avons interrogés proposent ou s’orientent vers une alimentation locale, mais se heurtent parfois à des soucis techniques : « On voulait fonctionner avec des brasseurs locaux pour Holocène cette année. Mais comme le public vient plutôt à la dernière minute maintenant, c’est très difficile de jauger le volume dont on a besoin. Pour des petits brasseurs, c’est donc complexe à gérer. Finalement, on a tourné avec un brasseur national qui a fourni le matériel et a accepté qu’on ait 15% de bière locale sur le festival », affirme Sylvain Nguyen.

Pas simple de changer de modèle en si peu de temps. Pour s’organiser, en juin dernier, plusieurs salles de l’agglomération ont décidé de s’allier afin d'aller vers la décarbonation de la culture locale : la Belle Électrique, le CCN2, l’Hexagone, le Théâtre municipal de Grenoble, le Pacifique, La Source, l’Espace 600, le Centre international des musiques nomades… « On se voit un vendredi par mois et on est en phase de rédaction d’une charte collective, qu’on affichera sur tous nos sites internet. Ensuite, on passera à des questions de clauses contractuelles d’accueil, de production, de diffusion. On a envie d’aller assez loin, de questionner nos méthodes de communication, nos réseaux techniques, nos questions bâtiments, etc. », conclut Jérôme Villeneuve.

À lire -> L'interview de David Irle, co-auteur de "Décarboner la culture"


Et le livre dans tout ça ?

La filière du livre s’est très tôt posé la question de l’écoconception. Ainsi, 95% des papiers utilisés seraient issus de forêts durablement gérées, selon le Syndicat national de l’édition. À Grenoble, les éditions Glénat nous confirment que « l’écoconception est au cœur de notre projet depuis longtemps, pour des raisons d’efficience au départ. On optimise la production de nos ouvrages en fonction du tirage, des formats, du nombre de pages. On adapte les formats de papier à l’ouvrage pour limiter le nombre de chutes. On essaie aussi de limiter les distances de transport en travaillant avec des papetiers, imprimeurs et distributeurs qui sont géographiquement proches les uns des autres », explique Charlotte Glénat, secrétaire générale. L’entreprise amorce une réflexion sur le sujet environnemental à travers une démarche RSE initiée l’an dernier. Parmi les plans évoqués : la réalisation d’un bilan carbone à moyen terme.

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