Drag Race France : le phénomène débarque à Grenoble

Paloma au plurielles

L'Ilyade

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Drag-queen / Double actualité Drag Race dans la cuvette cet automne : la venue de Paloma, gagnante de la saison 1, à l’Ilyade, puis le show Drag Race France live au Summum avec les candidates de la deuxième saison. Plus qu’un succès, un phénomène qui braque d’un coup les projecteurs sur le drag, un art encore méconnu du grand public il y a peu. 

Le succès de Drag Race France ne se dément pas. Après une première saison à 7 millions de téléspectateurs, la deuxième s’est achevée le 25 août dernier par la victoire de Keiona et un bilan d’audience « super bon, encore supérieur à l’année dernière », nous confie le producteur et auteur de l’émission Raphaël Cioffi, alors même que les chiffres n’ont pas encore été annoncés par France Télévisions.

C’est à lui que l’on doit la récente version française de ce concours de drag-queens survolté et rose bonbon, adaptation d’un concept américain, RuPaul’s Drag Race, diffusé depuis 2009. Raphaël Cioffi s’est lancé dans l’aventure en sachant qu’il répondait à un besoin, qu’il trouverait un public : « En tant que personne LGBT, c’était la première fois que j’avais le sentiment de me voir à la télé, que je voyais nos communautés s’exprimer avec des conversations de fond et, en même temps, tout ce grand show pailleté. Je voyais aussi en parallèle tout le talent qu’on avait en France sur la scène drag. »

Résultat, l’émission offre un gros coup de projecteur sur les pratiques drag, séduisant un public plus large que les communautés a priori initiées : « Lors de la tournée de la saison 1, on a dû tripler le nombre de dates et j’ai vu le public s’élargir. C’est clairement parvenu à des gens qui ne connaissaient pas le drag. » Ginger Bitch, l’une des candidates de la saison 2, abonde : « Drag Race apporte une visibilité au milieu drag, et montre que ce n’est pas juste des garçons qui se déguisent en filles, mais aussi des parcours de vie derrière. Ça prouve à la France entière qu’on n’est pas des bêtes de foire, qu’il s’agit juste d’un art performatif, qu’il n’y a rien de malsain. Je me demandais si la France était prête pour ça, j’avais des doutes, je n’en ai plus. Notamment quand je vois mes parents de 73 ans qui sont à fond dans le truc ! » Un succès qui s’explique par le ton de l’émission, sur un fil entre les codes de la télévision grand public, une extrême pédagogie, un casting au cordeau d’un côté ; une démesure propre au drag, un propos souvent politique et une forte identité LGBT de l’autre. Par ailleurs, au-delà de l’art du drag, il est régulièrement question de sujets de fond, comme le VIH, la transidentité, le rejet familial, etc.

Mieux que les Américains

Depuis Grenoble, la drag-queen locale Borderline regarde aussi le programme avec recul et intérêt. Et admet avoir eu « des doutes avant la diffusion de la saison 1, notamment sur le choix de Nicky Doll en présentatrice. Elle avait participé à une saison de RuPaul et je craignais qu’elle ramène ce formatage à l’américaine ». En effet, la version US du programme a été plusieurs fois critiquée dans les milieux drag et LGBT.

Nés de la marginalisation des personnes gay et/ou racisées dans la première moitié du XXᵉ siècle, l’art du drag et sa communauté restent vigilants quant à sa "mainstreamisation", sa récupération médiatique et marketing, qui risquent d’en édulcorer la subversion originelle. Ce qui, pour nombre d’artistes drag, fut le cas dans l’émission de RuPaul. « Il a longtemps refusé que des personnes transes candidatent, par exemple. Je trouve qu’il incarne plus un empire que l’art du drag en lui-même », complète Borderline avant de poursuivre : « Finalement, Nicky Doll s’est vraiment dissociée du format américain, elle est très à l’écoute et met en place une ambiance de sororité propre à la version française. »

Mica Palaz, autrice d’un mémoire sur la réception de RuPaul’s Drag Race au sein de la communauté LGBTQI+, partage cet avis : « Contrairement à la version US où la compétition est mise en avant, il y a une vraie solidarité dans Drag Race France. Il y a aussi plus de diversité, avec une drag à barbe par exemple, tandis que la version américaine privilégie un drag lisse et standardisé. » Ginger Bitch a ainsi intégré le casting de la saison 2, malgré sa quarantaine bien tassée et sa forte corpulence : « Que ce soit dans mon milieu ou dans le milieu drag, quand j’ai démarré en 2019 on m’a dit : "Elle est trop vieille, elle est trop grosse, nous on veut des jeunes qui font du taille 36" ! Alors j’ai voulu leur prouver que c’était possible. »

Un art qui coûte cher

Également satisfaite de la façon dont Drag Race France met en lumière son art, la drag-queen grenobloise Honey Nasty constate « moins d’ignorance » dans son entourage : « Ça donne envie aux gens d’aller voir des spectacles et ça aide aussi des drags à se lancer. » Elle aimerait tenter le casting de la saison 3 mais tient à préciser qu’avec une émission comme Drag Race, « la barre est de plus en plus haute, notamment en termes de tenues, de perruques, de maquillage. Tout cela coûte très, très cher et ce n’est pas toujours montré dans l’émission ».

« Ce que l’on voit, c’est le très haut niveau, et la plupart des candidates performent à Paris », renchérit Borderline qui souhaite, comme toutes ses collègues de Grenoble, que l’on soutienne aussi les drags locales, très peu médiatisées. « À Lyon ou Bordeaux, Drag Race fait son effet, on voit plus d’événements. Mais à Grenoble, je n’ai pas ressenti ça. On galère toujours pour trouver des lieux. Et quand on en trouve, il est difficile d’obtenir une juste rémunération, on a encore du mal à nous considérer comme des artistes. »

Où sont les kings ?

Reste un regret, partagé par l’ensemble de la communauté : l’absence de candidat drag-king dans l’émission, toutes versions confondues. Issu du collectif grenoblois La Maison Peccino, Raphaël Cœurdacier déplore la place minime réservée à sa discipline dans Drag Race : « Cette saison, il y a eu l’intervention de Judas la Vidange mais juste pour un mini-challenge. Par la suite, dans l’épreuve du music-hall, la candidate Moon joue le rôle du père de Quasimodo. C’est clairement du drag-king mais le mot n’est jamais prononcé dans l’épisode. Aujourd’hui, les queens sont devenues un peu plus mainstream, alors que les kings sont moins dans les canons de la mode. Du coup, ils souffrent un peu de la comparaison : ce serait moins spectaculaire… »

Interrogé sur ce point, le producteur Raphaël Cioffi ne tergiverse pas : « J’aimerais beaucoup qu’il y ait des drag-kings dans Drag Race, je n’attends que ça. » Mais a-t-il la latitude pour le faire, alors qu’il travaille sous le joug de la licence américaine ? « Sur l’éditorial et l’artistique, on a une liberté assez totale, on n’a jamais eu une seule remarque. En revanche, sur la nature des candidatures, je pense que les Américains aiment bien être les premiers à faire les choses. Mais j’ai l’intuition – attention, ce n’est pas une info – que les drag-kings devraient arriver dans Drag Race. Je l’espère. »  

Paloma au plurielles mercredi 4 octobre à 20h à l’Ilyade, 34€

Drag Race France live – saison 2 mardi 24 octobre à 20h au Summum, de 29€ à 79€

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