David Kimelfeld : « il est encore temps de revenir sur votre décision ! »

Fagor-Brandt / L'ancien président de la Métropole, David Kimelfeld, désormais dans l'opposition, ne digère pas la décision de son successeur Bruno Bernard de mettre fin à l'expérience Fagor-Brandt, lui qui a initié un véritable élan métropolitain autour de l'urbanisme transitoire.

Comment avez-vous pris la décision de Bruno Bernard de mettre fin à l'aventure Fagor-Brandt ?
David Kimelfeld : D'abord, ce que je ne comprends pas dans cette décision, c'est cette façon de fouler au pied ce qu'est l'urbanisme transitoire. Sur certaines choses, j'ai été dans la continuité de ce que faisait Gérard Collomb ; mais l'urbanisme transitoire, c'est un dossier qui n'existait pas quand je suis devenu président de la Métropole, en 2017. On le met alors au-dessus de la pile. Et s'il y a un dossier sur lequel je n'étais pas inquiet pour sa continuité avec les Verts, c'était bien celui-là ! Je me disais au moins, l'urbanisme transitoire — je ne me faisais aucune illusion sur l'attractivité par exemple —, ils vont s'en saisir et ils vont même l'intensifier. Résultat : le premier acte qu'ils posent, c'est pour fermer un lieu. Pour le transformer, en plus, en quelque chose qui n'amène pas de service, pas de vie, pas de mixité : qui n'amène rien aux habitants. Quelle vision le président de la Métropole, Bruno Bernard, a de Gerland ? De la Ville de Lyon ?

L'urbanisme transitoire n'est que transitoire, bien évidemment. Mais à condition que derrière on y installe des activités qui amènent du plus, pas du moins. Et là, c'est du moins. Aucun lien avec le territoire, surtout dans cet endroit très particulier, avec beaucoup de logements sociaux, un collège juste en face, avec un arrêt de tramway devant : on n'a pas fait un arrêt juste pour que l'équipe du Sytral arrive au travail le matin, c'est complètement délirant ! On a l'impression que les Verts n'ont pas tiré les leçons de ce qu'il s'est passé pendant cette expérience. Notamment les liens établis avec la population. Lyon Street Food Festival, ils ont envoyé 500 courriers aux gens qui habitent autour, ils ont eu 200 réponses de personnes voulant venir. C'est important ce qui se passe-là ! La Biennale d'Art Contemporain, il y a eu de la médiation culturelle. C'est un signe que l'on envoie au quartier qui est parlant : contentez-vous d'un entrepôt de tramways, vous n'avez pas mérité plus, vous n'avez pas besoin de services, pas besoin d'activité.

Et on dit toujours qu'il faut que les équipes culturelles acceptent de mutualiser : là-bas, c'est en cours, avec une régie unique, des prêts de matériel, tout a super bien fonctionné. Les Verts n'ont pas étudié l'urbanisme transitoire tel qu'on doit l'étudier : on essaye quelque chose et à partir de l'expérience, on décide de ce que l'on fait. Ils ne vont pas me faire croire qu'à partir de la Biennale d'Art Contemporain, de la Danse, du Lyon Street Food Festival et de Nuits sonores, l'expérience c'est d'en faire un lieu de réparation des tramways où il y aura 35 salariés ! C'est moins que les permanents des Biennales ! C'est totalement délirant.

Mais il n'y a pas d'autres friches envisageables sur Lyon pour accueillir de la culture ?
Il n'y a pas sur Lyon l'équivalent. Même le technicentre à La Saulaie qu'ils sont en train d'essayer de vendre à tout le monde, ça coince. D'abord, il y a d'autres activités, ensuite les délais ne vont pas être tenus. Et ce ne sont pas les mêmes caractéristiques techniques. Je ne comprends pas : les Verts, ce sont des gens qui veulent faire un maximum de choses en régie, l'eau, la régie de ceci ou de cela... Là, ils pouvaient faire une sorte de régie de l'événementiel et se dire que ce lieu permettait à des équipes émergentes de faire naître des festivals et de les expérimenter, dans des conditions fixées par le public, donc des conditions financières qui permettent d'avoir un accès simplifié. Moi, je donne toujours l'exemple de Peinture Fraîche [NdlR : co-organisé par Le Petit Bulletin] : s'il n'y a pas la Halle Debourg, c'est plus compliqué pour eux de démarrer. Le phénomène ne se serait pas accéléré comme ça, parce qu'ils auraient été où ? À La Sucrière qui coûte plus cher ? Fagor-Brandt, c'est l'endroit rêvé pour faire émerger des idées, des festivals. Dans des conditions économiques favorables.

Je trouve paradoxal que dans la même semaine — parce qu'ils ont quand-même le sens du symbole, les écolos — on ferme Fagor et on adopte une délibération pour l'Arena à Décines. Que j'ai soutenue, je n'ai pas de complexe là-dessus, mais moi je l'ai soutenue en faisant de l'urbanisme transitoire. Eux, ils soutiennent l'Arena en faisant tout un baratin pour dire qu'ils ont eu des exigences envers Jean-Michel Aulas, qu'il va mettre de l'émergence grâce à eux. Avant d'avoir des exigences avec les équipes du privé, commencez par avoir des exigences avec vous-mêmes !

Il met en difficulté son vice-président à la Culture

Jean-Michel Aulas sensible à l'émergence culturelle ?
Il les a embobiné ! [NdlR : l'interview a été réalisée avant l'annonce du partenariat entre l'OL et Live Nation pour l'Arena]. Et ça ne me choque pas, c'est pas son rôle l'émergence culturelle. Ce discours des Verts, c'était juste pour faire passer la pilule à ceux qui ne voulaient pas voter la délibération. Jean-Michel Aulas a passé l'âge de recevoir des leçons des Verts, franchement. Dans ce même temps où ils racontent n'importe quoi sur cette Arena, ils mettent à mal le seul outil qu'ils ont à leur disposition, Fagor-Brandt, qui pourrait accueillir de l'émergence. C'est totalement incohérent.

En plus, Bruno Bernard met en difficulté son vice-président à la Culture Cédric Van Styvendael, qui accueille l'an prochain à Villeurbanne la Capitale de la Culture. Quand-même, fermer une friche culturelle dans la ville d'à côté juste avant, c'est pas terrible. Je sais que lui n'est pas d'accord avec cette décision. Mais Bruno Bernard est un spécialiste pour mettre ses alliés socialistes en difficulté : Hélène Geoffroy, il lui a confié le dialogue avec les maires, et lui il ne dialogue pas avec. Renaud Payre, il lui dit de faire du logement et de l'autre côté il dit faut pas artificialiser les sols donc ne pas construire. Au bout d'un moment, on dira que leur bilan n'est pas bon et que c'est la faute de Renaud Payre, Hélène Geoffroy ou Cédric Van Styvendael... Bruno Bernard traite mal ses partenaires. Je trouve ça incroyable.

Et dans son rapport à la Ville de Lyon, quelle manière de faire... Nathalie Perrin-Gilbert est sincère quand elle dit qu'elle n'était pas au courant. Elle a raison quand elle dit que Lyon ne doit pas se muséifier. Que c'est une chance extraordinaire d'avoir ce lieu. Je trouve le maire de Lyon encore étrangement muet, il ne parle pas, il ne s'exprime pas. Ce n'est pas bon pour la Ville de Lyon : on était déjà en retard sur l'urbanisme transitoire, on était à la traîne par rapport à Paris, Nantes, Bordeaux... Bruno Bernard envoie un très mauvais signe. Et puis on ne peut pas annoncer fermer Fagor-Brandt et le lundi qui suit faire une journée d'étude sur l'urbanisme transitoire à la Halle Debourg pour dire que c'est super bien ! Incohérence totale.

Il y avait eu de l'investissement pour Fagor-Brandt sous votre présidence ?
Oui. 760 000€ — dont 200 000€ de la Métropole en subvention et le reste des Biennales. D'abord, il a fallu refaire le chauffage, remettre en état toitures et portes, la rampe d'accès, l'aménagement du café-restaurant et de la billetterie, la boutique, les sanitaires, l'installation des bureaux des Biennales. Et la Métropole avait aussi fait des travaux par elle-même avant.

Il y aurait aussi sur le site des problèmes de pollution ?
Oui. Ce site est pollué. Le sol, principalement. Ce qui explique que l'on ait pu obtenir des autorisations que pour faire de l'événementiel, avec des conditions très drastiques. On ne peut pas y installer d'activités pérennes sans dépolluer. Soit ils dépolluent et ça coûte très très cher, mais juste pour un entrepôt de tramway ça paraît disproportionné. Soit ils ne dépolluent pas et là on installe du pérenne sans dépolluer, ce qui est contraire à leurs principes ! Sur de l'urbanisme transitoire, ce n'était pas un problème. C'est ce que l'on avait exigé sur l'autre partie du site pour la construction de logements, ça avait été fait par le promoteur.

Voyez-vous une solution ?
On y a installé la Biennale d'Art Contemporain, c'était leur première édition. C'était compliqué de faire passer le message au public que c'était là-bas et non plus à La Sucrière. Changer encore ? Il y a des cycles dans la culture, il faut au moins trois éditions sur un site, ne pas changer tout le temps. Rien ne va dans cette décision !

Je suis ahuri, je pense à Nathalie Perrin-Gilbert : je peux parfois être critique envers elle, mais franchement, elle s'est mobilisée pendant le Covid pour les acteurs culturels, elle a convaincu Doucet d'y aller, ils ont balancé de l'argent de manière assez importante, c'était nécessaire. Elle a fait le travail ! Et en récompense, on sort du Covid et on lui dit : on va fermer le lieu de l'émergence culturelle de Lyon pour le remplacer par un entrepôt ? C'est quand-même une drôle de façon de voir les choses. Y compris pour le monde culturel. La période a été dure et leur dire : on ferme un lieu... C'est terrible. Je lance un appel aux Écologistes : il est encore temps de revenir sur votre décision. Il ne faut pas qu'ils aillent totalement dans le mur. Bruno Bernard sortirait grandi en disant : « ok, je me suis trompé, ça peut arriver. J'ai pas fait gaffe aux conséquences de cette décision, je remets les choses à plat. » Je préférerais que ça se passe comme ça plutôt qu'il aille dans le mur. Il est encore temps !

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