De quoi le 66e festival de Cannes (du 15 au 26 mai) sera-t-il fait ? Les films français et américains trustent majoritairement les sélections, les grands cinéastes sont au rendez-vous de la compétition et les sections parallèles promettent leur lot de découvertes... Pendant ce temps, en coulisses, le cinéma hexagonal s'agite et s'inquiète. Christophe Chabert
Alors que débute le 66e festival de Cannes – avec en ouverture la version Baz Luhrmann, attendue comme kitsch et mélodramatique, de Gatsby le magnifique – le cinéma français est en émoi.
Après l'adoption de la nouvelle convention collective fixant la rémunération des techniciens, les syndicats de producteurs indépendants et une poignée de cinéastes sont montés au créneau pour protester contre ce texte qu'ils jugent mortel pour une partie des films produits dans l'hexagone.
Comme si cela ne suffisait pas, la Commission européenne s'apprête à négocier de nouveaux accords de libéralisation commerciale avec les États-Unis, pour lesquels la question de l'exception culturelle serait dans la balance. Autant dire que ce qui s'annonçait comme une belle fête pourrait s'avérer plus houleuse que prévue... Sans parler de la crise, cette foutue crise dont les effets devraient aussi se faire sentir du côté du marché du film, sinon dans le nombre de festivaliers accrédités.
Promesses pour une grand-messe
Pourtant, si l'on s'en tient à la sélection officielle et aux films eux-mêmes, c'est une édition prestigieuse qui devrait se dérouler du 15 au 26 mai. On le sait, Cannes, c'est un peu une année sur deux ; en 2012, la compétition était décevante, alors qu'en 2011, elle était flamboyante ; en 2010, elle était carrément pourrie, tandis qu'en 2009, elle avait été explosive. Pour 2013, avec sur le papier les nouveaux films de James Gray (The Immigrant), les frères Coen (Inside Llewyn Davis), Nicolas Winding Refn (Only God forgives – photo ci-dessus), Arnaud Desplechin (Jimmy P.), Abdellatif Kechiche (La Vie d'Adèle, chapitres 1 et 2, soit 3h au total !), Steven Soderbergh (Behind the candelabra), François Ozon (Jeune et jolie – photo), Alexander Payne (Nebraska), Roman Polanski (La Vénus à la fourrure) ou encore Jim Jarmusch (Only lovers left alive, invité de dernière minute), on doit concéder que le festival est cette année très excitant.
Sans oublier les sections parallèles : Sofia Coppola avec The Bling ring en ouverture d'Un certain regard et Ari Folman avec Le Congrès pour débuter la Quinzaine des réalisateurs, cela fait déjà deux événements de poids dès l'entame du festival. On y ajoutera un Johnnie To en séance de minuit (Blind detective), une adaptation de Faulkner par cet hyperactif de James Franco à Un certain regard (As I lay dying), le one-man-film de JC Chandor avec Redford hors compétition (All is lost) et un Stephen Frears inattendu en séance spéciale (Muhammad Ali's greatest fight) et notre agenda est déjà bien rempli.
Comme il convient aussi d'aller à Cannes pour découvrir des films, il faudra guetter le dernier vainqueur de Sundance (Fruitvale station), un film d'horreur allemand qu'on dit prometteur (Tore Tanzt) et quelques films de genre (polar, comédie et même science-fiction !) dissimulés du côté de la Quinzaine ou de la Semaine de la critique...
Sous le signe de l'Hexagone
De ce programme extrêmement riche se dégage un constat : la France et les États-Unis dominent de la tête et des épaules les sélections. La France notamment est massivement représentée en tant que productrice ou coproductrice. Un bon exemple : Le Passé (photo), le nouveau film de l'Iranien Asghar Farhadi après le triomphe d'Une séparation, a été tourné à Paris avec des capitaux et des acteurs français (Bérénice Bejo et Tahar Rahim). Mais quand un film mexicain (Heli d'Amat Escalante) ou africain (Grigris de Mahamat-Saleh Haroun) trouvent la voie de la compétition, ils doivent souvent leur existence à un cofinancement hexagonal. Sans parler des cinéastes d'ici qui font le voyage en Amérique : Desplechin, mais aussi Guillaume Canet (Blood ties, hors compétition) et le redoutable Jérôme Salles (Zulu, en clôture)... Des considérations qui voleront vite en éclats une fois le festival lancé, avec ses premières surprises et ses premières déceptions – inévitables...
Mais au fait, ça sert à quoi, Cannes ? Disons-le, avant tout à préparer les grands moments de la saison cinéma, que ce soit pour le critique ou les exploitants, indispensables relais de la vie des films. On peut tout gagner et tout perdre à Cannes. Ce n'est pas qu'une question de prix à l'arrivée – l'indifférence avec laquelle le Prix de la mise en scène de l'an dernier, Post Tenebras Lux, a touché les écrans la semaine dernière le montre bien ; c'est aussi une affaire de buzz, dans ce qu'il a de plus fascinant mais aussi de plus traître. À 8h du matin, un film est encore saignant ; le soir, parfois, il est cuit. Mais lorsqu'il arrive à passer ce cap fatidique, l'avenir lui appartient. C'est grâce à Cannes que Les Bêtes du Sud sauvage, No ou, exemple tout frais, Mud, ont ainsi pu réussir leurs belles carrières en salles.
Qui prendra leur suite en 2013 ? On tâchera d'y répondre quotidiennement via le blog que l'on tiendra jusqu'au palmarès, et dans ces mêmes colonnes dès mercredi prochain.