Avec ce portrait d'une adolescente qui découvre le désir et brave les interdits, François Ozon prouve sa maîtrise actuelle de la mise en scène, mais ne parvient jamais à dépasser le regard moralisateur qu'il porte sur son héroïne.Christophe Chabert
Jeune & jolie : un titre qui est autant une référence au magazine pour adolescentes qu'une mise au point de la part de François Ozon. Il ferme ainsi sa longue parenthèse d'actrices vieillissantes et revient à la jeunesse érotisée de ses premières œuvres, courtes ou longues.
L'introduction tient lieu d'énorme clin d'œil : sur une plage déserte, Isabelle, seize ans — prometteuse Marine Vacth, sorte de Laetitia Casta en moins voluptueuse —, retire le haut de son maillot de bain, se pensant à l'abri des regards. En fait, la scène est vue depuis les jumelles de son petit frère et en deux plans, trois mouvements, Ozon s'offre un digest de son premier âge de cinéaste : la plage comme lieu de fantasmes, ses alentours comme repaire des désirs troubles.
Clin d'œil donc, mais trompe-l'œil aussi : ce voyeurisme-là n'est qu'une fausse piste et même si par la suite tous les regards se tourneront vers Isabelle pour percer son inexpliquée conversion à la prostitution, Ozon ne cherche jamais à créer de suspens malsain autour de ses activités : au contraire, c'est l'évidence frondeuse avec laquelle elle découvre son désir qui l'intéresse, et qu'il filme sans pincette particulière.
Que jeunesse se passe
En revanche, quelque chose dans le regard d'Ozon pose problème. Dans la scène où Isabelle perd sa virginité avec un Allemand de passage, il choisit de la confronter avec son double fantomatique assistant aux ébats comme si une partie d'elle-même — son innocence ? s'apprêtait à la quitter. Une ellipse musicale plus tard, la vierge est devenue putain, raccourci à peine grossier de ce qui se passe à l'écran. À chaque saison du récit, Ozon fait repartir son personnage sur des bases nouvelles et les adultes autour d'elles n'en paraissent que plus englués dans leur inertie.
Matérialiste, perverse, manipulatrice, mais aussi tendre, attentionnée, vulnérable, Isabelle permet à Ozon de visiter en observateur curieux la jeunesse d'aujourd'hui via un spécimen à la fois générique et singulier. Mais cette jeunesse-là, qui donne son attrait au film et sa vigueur à la mise en scène, Ozon semble aussi en avoir peur, et on le sent à deux doigts de prendre le parti de la mère — géniale Géraldine Pailhas — pour lui asséner une bonne leçon de vie, et les claques qui vont avec.
En quinze ans, son cinéma a certes gagné en maîtrise et en élégance formelle, mais il a aussi perdu en insolence, laissant la place à un moralisme que la crudité des images ne masque jamais totalement.
Jeune & Jolie
De François Ozon (Fr, 1h35) avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot...
Sortie le 21 août