Retour à une forme plus narrative pour le désormais prolifique Terrence Malick, qui revisite ici le chassé-croisé amoureux dans une forme forcément personnelle et inédite.
Deux hommes, deux femmes : leurs histoires d'amour et professionnelles, croisées ou réciproques dans l'univers musical rock d'Austin...
Après le sphérique et autoréférenciel Voyage of Time — amplification des séquences tellurico-shamarniques de Tree of Life façon poème mystique à liturgie restreinte — Terrence Malick renoue avec un fil narratif plus conventionnel. Avec ce que cela suppose d'écart à la moyenne venant du réalisateur de À la Merveille. Song To Song prouve, si besoin en était encore, que ce n'est pas un argument qui confère à un film son intérêt ou son originalité, mais bien la manière dont un cinéaste s'en empare. Le même script aurait ainsi pu échoir à Woody Allen ou Claude Lelouch (amours-désamours chez les heureux du monde et dans de beaux intérieurs, avec les mêmes caméos de Val Kilmer, Iggy Pop, Patti Smith), on eût récolté trois films autant dissemblables entre eux que ressemblants et identifiables à leur auteur.
Persistance de la mémoire
En deux heures bien tassées, Malick nous offre ici un foisonnement visuel rare : un enchaînement vertigineux de séquences durant rarement plus de quelques secondes chacune. Comme une promenade dans la jungle à la fois profuse et ordonnée du souvenir, la où s'empilent par contiguïté les hauts faits du vécu. Ce voyage dans les limbes d'un “jamais plus”, porté par l'inévitable litanie d'une voix off — plus mesurée que d'ordinaire : elle ne prend pas le pas le dialogue — constitue une très réussie restitution du phénomène de remembrance : Malick donne davantage à éprouver, ressentir, partager qu'à voir.
Certes, il ne peut s'empêcher de pousser l'image à son degré ultime de somptuosité optique, en tournant en courte focale à l'heure magique, avec le soleil doré bien visible dans son horizon ; en choisissant des décors parfaits trop lisses ou dignes d'un tableau de De Chirico. Mais la mémoire aussi a tendance à embellir le cadre sous la patine du temps...
de Terrence Malick (É.-U., 2h08) avec Ryan Gosling, Rooney Mara, Michael Fassbender... (sortie le 12 juillet)