Sur les traces du Corbusier à Firminy

Patrimoine / Classé au patrimoine mondial de l’Unesco et premier en Europe pour son ampleur, le site Le Corbusier dans le quartier Firminy-Vert révèle l’étendue de son génie.

De grands bâtiments en béton armé au milieu d’une nature omniprésente, c’est la signature de Charles-Édouard Jeanneret-Gris (alias Le Corbusier) au quartier de Firminy-Vert. Ici, la froideur du gris, impressionnante voire vertigineuse qui se dégage à première vue du bâtiment, tranche avec la chaleur intérieure de chacune de ses constructions. L’ensemble du site est surprenant, partagé entre lumière, béton et couleurs. Rouge, bleu, jaune et vert : couleurs phares choisies par Le Corbusier pour le site de Firminy-Vert, dont les rues sont d’ailleurs habillées de tracés dans les mêmes tons. À l’intérieur, les bâtiments se transforment : des nuances remplissent le regard et une décoration industrielle, ambiance sixties, induit en erreur sur l’âge des bâtisses. 

Un artiste encore peu connu

Une architecture unique, incarnation du rêve d’un certain mode de vie, un parcours lui-aussi hors du commun, pour une reconnaissance par-delà nos frontières : Le Corbusier était ainsi de ceux qui, visionnaires, n’hésitent jamais à bousculer les codes… Du génie, qui, dans les années 50, avait convaincu le maire de la ville, Eugène Claudius Petit de faire appel à lui pour la construction d’un nouveau quartier. Durant cette période prospère des Trente Glorieuses, et tandis que la population augmente rapidement, le maire exprime en effet sa volonté de moderniser la ville tout en laissant une place importante à la nature. 

Théoricien d’une vie urbaine moderne, Le Corbusier s’appuie sur cinq principes architecturaux que l’on retrouve encore de nos jours, bien loin de l’image des grands ensembles. Des pilotis, très courants dans les constructions corbusiennes, qui permettent circulation, abris et hauteur. Un toit-terrasse, facilement repérable dans des constructions récentes. Une façade libre et ses « fenêtres en bandeaux », comprendre, « en longueur » qui, associées à une ossature indépendante, permettent une remarquable percée de lumière. Le Plan Libre, conçu autour de poteaux et non de murs, qui supportent le plancher et permettent une meilleure optimisation de l’espace. Lumière et espace sont ainsi les maîtres mots de son architecture, permettant de donner vie à la théorisation d’une vie urbaine, collective, pratique, fonctionnelle et solidaire. Son architecture est aujourd’hui considérée comme totale, puisqu’elle concerne à la fois l’extérieur et l’intérieur avec notamment la prise en charge du mobilier. A Firminy, Le Corbusier a conçu son site comme partie intégrante de l’environnement, de façon à le mettre en évidence. 

Des logements novateurs

Tout comme Saint-Étienne, Firminy était au sortir de la guerre une ville noircie par l’industrie. Dédiés aux ouvriers, la majorité des logements d’alors étaient insalubres, étroits et rarement dotés d’eau potable. Face à ces signes de pauvreté, Le Corbusier va révolutionner le quotidien et la vie des Appelous : il crée, avec l’unité d’habitation, des logements spacieux, lumineux, et surtout alimentés en électricité (eau chaude, chauffage…) et d’eau potable à bas prix. Alors qu’à l’époque, les faibles revenus de la population ne permettaient que rarement aux gens de posséder un véhicule, l’architecte avait malgré tout déjà pensé à la circulation et à la mobilité des habitants, en aménageant parking et ligne de bus. Véritable avant-gardiste, il n’aura cependant pas eu le temps de voir son œuvre achevée, puisqu’il mourra en 1965. Pour sa dernière visite sur le chantier de Firminy, il posera tout de même la première pierre de l’Unité d’Habitation.

Appartement témoin de l'unit d'habitation Firminy Arnaud Frich F.L.CADAGP-1

 

Cette dernière, deuxième plus grande au monde après Chandigarh en Inde, comportait à l’origine 414 logements, une école maternelle sur trois niveaux et un toit-terrasse. « La grande particularité du concept de l'unité d'habitation, c'est que Le Corbusier l'imagine comme une ville » explique Anne Berthe, responsable des publics et du développement culturel des sites patrimoniaux gérés par Saint-Étienne Tourisme, qui nous guide lors d’une visite précise du site. Les larges couloirs de l’immeuble sont pensés comme des rues, et surtout comme un lieu de rencontres et d’échanges entre les habitants, symbole d’un habitat participatif. 

Un enrichissement culturel

Grand adepte de sport, Le Corbusier placera au cœur de son architecture des endroits dédiés à la pratique sportive. Le stade, situé à quelques encablures de l’unité d’habitation, sera réalisé après sa mort, entre 1966 et 1968, sous la supervision de certains de ses collaborateurs. Il en est de même pour la piscine, réalisée par André Wogenscky. Si les deux établissements n’ont pas été construits du vivant de l’architecte, ce sont bien à partir de ses plans qu’ils ont pu voir le jour.

À côté du stade, la Maison de la Culture fut la première construction de l’architecte à être achevée (1965), et également, la seule qu’il aura la possibilité de voir finalisée avant son décès. Elle abrite un auditorium, une bibliothèque, une salle de théâtre en son cœur, un foyer-bar, et divers espaces et bureaux. Unique par sa façade pentue et son toit courbé, elle est rythmée de pans de verre ondulatoire colorés, réalisés par Xenakis.

Un lieu de culte unique

L’église Saint-Pierre est pour sa part l’un des trois édifices religieux réalisés par Le Corbusier. Loin de l’image traditionnelle de l’institution, l’église pensée par Le Corbusier se distingue par son allure bétonnée et son toit courbé. Longtemps source de polémique pour son aspect extérieur atypique, l’église séduit néanmoins par son intérieur. Le jeu de lumière que renferme la nef tranche en effet avec la froideur du béton. En entrant, impossible de ne pas être hypnotisé par la constellation d’Orion qui transperce la toiture, laissant passer la lumière lors des matinées ensoleillées. Un message à portée universelle, qui fait de l’église l’édifice le plus renommé du site.

 

Un site en évolution

Malgré l’avant-gardisme porté par le site du Corbusier à Firminy-Vert, ce dernier fut partiellement laissé à l’abandon dès la fin des Trente Glorieuses. En cause : la chute démographique entrainant en cascade un manque de budget pour achever et entretenir les différentes constructions. Dans les années 70, un changement de municipalité engendrera donc une mise entre parenthèses des plans du Corbusier… Et il faudra attendre 2006, pour que le toit de l’église soit finalisé. Du côté de l’Unité d’Habitation, la partie nord sera abandonnée dès 1985 (car inoccupée), avant d’être vendue en copropriété, près de 20 ans plus tard. La relance des années 2000 permettra malgré tout d’achever l’œuvre du Corbusier à Firminy, et surtout, de lui rendre sa valeur. 

En 2016, le site ainsi terminé intègrera en effet la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, permettant du même coup à son créateur d’être reconnu de par le monde. Un juste retour des choses, pour celui qui, 60 ans plus tôt, avait imaginé une architecture urbaine internationale, fondée d’inspirations pluriculturelles, et brisant les codes d’un style propre à chaque pays ou région. 

Aujourd’hui, l’Unité d’Habitation, comme le stade, sont toujours animés par les Appelous. La Maison de la Culture est ouverte pour les visites, mais continue d’accueillir les habitants de Firminy et métropolitains, grâce à sa programmation culturelle annuelle. 

Culturelle avant d’être cultuelle, l’église accueille quant à elle des expositions temporaires dans sa partie inférieure. Actuellement, Ça bouge en ville ! Sport et architecture pour demain questionne la pratique et l’adaptation du sport en ville, comme un clin d’œil aux J.O 2024 qui s’annoncent. Du mouvement, toujours du mouvement, encore du mouvement… 

Visites guidées tous les jours sauf le mardi. Exposition Ça bouge en ville ! Sport et architecture pour demain, jusqu’au 24 janvier à l’église Saint-Pierre

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