Nuit super héroïnes
ECRANS par Vincent Raymond le Mardi 11 décembre 2018 | Voici le genre de soirée auquel on aimerait convier Martin Solveig. Surtout pas pour le charger d’ambiancer les séances — il serait capable de demander (...)
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Chaque semaine, en un coup d'oeil, tous les programmes. un outil pratique et complet pour constituer sa semaine de sorties à Lyon
Avant de voir Millénium, il faut d’abord oublier le médiocre (télé)film suédois sorti en 2009, première adaptation du best-seller de Stieg Larsson. Ce n’est pas difficile, tant la mise en scène de David Fincher, impressionnante de fluidité et de rapidité, laisse loin derrière les laborieuses velléités illustratives de Niels Arden Oplev. Mais il faut aussi oublier le livre lui-même, et se comporter comme Fincher et son scénariste Steven Zaillan l’ont fait : doubler le plaisir feuilletonesque créé par une intrigue aux ramifications multiples d’un autre récit, purement cinématographique, qui n’aurait été qu’esquissé par l’auteur entre les lignes de son propre roman. De fait, si on a pu s’interroger un temps sur l’intérêt que Fincher portait à Millénium, et se demander s’il n’allait pas, comme à l’époque de Panic room, s’offrir un exercice de style récréatif avec cette nouvelle version, le générique (comme souvent chez lui) dissipe immédiatement les soupçons : sur une musique hardcore de Trent Reznor, Atticus Ross et Karen O., des corps noirs et liquides comme du plastique fondu s’interpénètrent et se mélangent à des câbles et des circuits électroniques. C’est beau, violent, furieux et cela dit déjà tout le film à venir : la chair rencontre la technologie, l’organique copule avec le numérique, et l’un doit l’emporter sur l’autre. Reste à savoir lequel…
Ainsi avance le film dans sa première moitié, suivant deux lignes clairement dessinées par chacun des protagonistes : il y a d’abord la ligne Mikael Blomkvist, journaliste déchu après s’être attaqué à plus gros que lui (un homme d’affaire qu’il soupçonnait de corruption) et qui se retrouve à déterrer les secrets d’une puissante famille suédoise. L’enjeu : savoir ce qui est arrivé à Harriett, nièce d’Henrik Vanger, industriel sur le point de solder ses affaires sentant sa fin approcher. Blomkvist, incarné par un Daniel Craig alourdi — et partant crédible — qui conserve toutefois son charisme habituel, s’installe dans cette saga nordique à la manière d’Elliott Gould dans Le Privé d’Altman : brassant des archives, préparant le feu dans la cheminée, recueillant un chat errant, faisant le tour de l’île pour tailler le bout de gras avec les différents membres de cette famille où la haine et la rancœur sont des dénominateurs communs. David Fincher traite cette partie avec une ironie discrète, comme s’il faisait de ce bout d’Europe enneigé et de ses autochtones figés dans la glace (émotionnelle) les résidus d’un monde crépusculaire, dont il ne resterait plus que les récits poussiéreux et quelques photos. Ces photos que Blomkvist tente d’animer comme un vieux flip book et dont il cherche le point de vue et le contrechamp tel un critique des Cahiers du cinéma. Le cinéaste s’offre même d’évidentes références à son œuvre passée, comme ce flic obsédé par un crime irrésolu, cousin nordique de l’enquêteur joué par Mark Ruffalo dans Zodiac. Dans cette partie-là, Fincher est à la limite de l’effet de signature et de la démonstration de virtuosité ; le plaisir est là, mais on reste dans le divertissement luxueux.
Sauf que cette ligne Blomkvist est littéralement secouée par la ligne Lisbeth Salander, qui progresse en (montage) parallèle et qui s’y oppose point par point. Salander est une suicide girl au look à la fois punk et gothique, une guerrière dont le passé traumatique a fait d’elle une créature de vitesse pure, pirate informatique invisible et redoutable, fantôme errant dans la nuit de Stockholm et prête à tout pour survivre. Fincher fait d’elle, après Mark Zuckerberg, Tyler Durden ou Robert Graysmith, un de ces êtres produits par la civilisation numérique, à mi-chemin entre le réel et le virtuel, dont la pensée et les mouvements épousent le rythme des processus informatiques. À ceci près que Lisbeth Salander est aussi un corps ultra-sexué (féminine et masculine, naturellement bisexuelle), une incarnation de ce nouveau monde encore en construction et qui entre en collision avec le monde d’avant. Une magnifique incarnation aussi, car l’incroyable Rooney Mara empoigne le personnage en faisant un doigt d’honneur au puritanisme hollywoodien ambiant — ça faisait longtemps qu’un blockbuster américain n’avait à ce point repoussé les limites de la censure, et ça fait un bien fou. Avec elle, le pouls du film s’accélère, dans une tachycardie spectaculaire dont le sommet est sans doute la sous-intrigue de viol et vengeance dont elle est tour à tour la victime et le bras armé. Millénium déploie ainsi avec une science particulièrement habile de la construction son véritable enjeu : lequel de ces deux corps va l’emporter sur l’autre, et quel monde va sortir de leur rencontre ?
Fincher repousse donc longuement le moment où la ligne Blomkvist et la ligne Salander vont se croiser. Ce choc attendu, le cinéaste le met en scène dans sa plus grande littéralité : l’enquête du journaliste est électrisée par les méthodes de la punkette, certes ; mais surtout le corps mûr et contraint du premier entre en contact avec celui, sans entrave et désinhibé, de la seconde, dans une scène de cul hallucinante où c’est elle qui prend l’initiative mais surtout le dessus (là encore, littéralement). Cet accouplement engendre un nouveau film où chaque plan semble habité par une fureur irrépressible, où les distances géographiques et temporelles sont abolies, où la violence se répand partout comme un mauvais virus et où même le récit ne semble sortir de son cours naturel. Dans The Social network, Zuckerberg le parvenu affrontait les jumeaux Winklevoss et leur morgue d’héritiers, raillant leur savoir pour affirmer son audace et sa volonté de puissance. Lisbeth Salander devient, devant la caméra de Fincher, sa sœur de fiction : grâce à elle, une page de l’Histoire suédoise se tourne (le rapport au nazisme, sur lequel le cinéaste ne s’appesantit pas, et c’est mieux comme ça) ; avec elle, une justicière ultra-contemporaine apparaît, corps désirable mais trop rapide pour être désiré, chevalier noir au féminin dont le Gotham city serait une Europe en proie à la corruption et à la mondialisation des échanges financiers. Héros négatif contre héroïne positive, mais les deux se retrouvent dans une même solitude, comme si les enfants du numérique ne pouvaient sortir de leur chambre ou sortir de l’ombre pour prendre le pouvoir sans subir l’ostracisme de ceux qui le détenaient jusqu’alors. À tous ceux qui pensaient voir dans ce Millénium américain un remake du Millénium suédois, le cinéaste leur répond qu’en grand auteur de films, il ne fait que remaker ses propres œuvres…
Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes
De David Fincher (ÉU, 2h38) avec Daniel Craig, Rooney Mara, Robin Wright, Christopher Plummer…
Avant de voir Millénium, il faut d’abord oublier le médiocre (télé)film suédois sorti en 2009, première adaptation du best-seller de Stieg Larsson. Ce n’est pas difficile, tant la mise en scène de David Fincher, impressionnante de fluidité et de rapidité, laisse loin derrière les laborieuses velléités illustratives de Niels Arden Oplev. Mais il faut aussi oublier le livre lui-même, et se comporter comme Fincher et son scénariste Steven Zaillan l’ont fait : doubler le plaisir feuilletonesque créé par une intrigue aux ramifications multiples d’un autre récit, purement cinématographique, qui n’aurait été qu’esquissé par l’auteur entre les lignes de son propre roman. De fait, si on a pu s’interroger un temps sur l’intérêt que Fincher portait à Millénium, et se demander s’il n’allait pas, comme à l’époque de Panic room, s’offrir un exercice de style récréatif avec cette nouvelle version, le générique (comme souvent chez lui) dissipe immédiatement les soupçons : sur une musique hardcore de Trent Reznor, Atticus Ross et Karen O., des corps noirs et liquides comme du plastique fondu s’interpénètrent et se mélangent à des câbles et des circuits électroniques. C’est beau, violent, furieux et cela dit déjà tout le film à venir : la chair rencontre la technologie, l’organique copule avec le numérique, et l’un doit l’emporter sur l’autre. Reste à savoir lequel…
Ainsi avance le film dans sa première moitié, suivant deux lignes clairement dessinées par chacun des protagonistes : il y a d’abord la ligne Mikael Blomkvist, journaliste déchu après s’être attaqué à plus gros que lui (un homme d’affaire qu’il soupçonnait de corruption) et qui se retrouve à déterrer les secrets d’une puissante famille suédoise. L’enjeu : savoir ce qui est arrivé à Harriett, nièce d’Henrik Vanger, industriel sur le point de solder ses affaires sentant sa fin approcher. Blomkvist, incarné par un Daniel Craig alourdi — et partant crédible — qui conserve toutefois son charisme habituel, s’installe dans cette saga nordique à la manière d’Elliott Gould dans Le Privé d’Altman : brassant des archives, préparant le feu dans la cheminée, recueillant un chat errant, faisant le tour de l’île pour tailler le bout de gras avec les différents membres de cette famille où la haine et la rancœur sont des dénominateurs communs. David Fincher traite cette partie avec une ironie discrète, comme s’il faisait de ce bout d’Europe enneigé et de ses autochtones figés dans la glace (émotionnelle) les résidus d’un monde crépusculaire, dont il ne resterait plus que les récits poussiéreux et quelques photos. Ces photos que Blomkvist tente d’animer comme un vieux flip book et dont il cherche le point de vue et le contrechamp tel un critique des Cahiers du cinéma. Le cinéaste s’offre même d’évidentes références à son œuvre passée, comme ce flic obsédé par un crime irrésolu, cousin nordique de l’enquêteur joué par Mark Ruffalo dans Zodiac. Dans cette partie-là, Fincher est à la limite de l’effet de signature et de la démonstration de virtuosité ; le plaisir est là, mais on reste dans le divertissement luxueux.
Sauf que cette ligne Blomkvist est littéralement secouée par la ligne Lisbeth Salander, qui progresse en (montage) parallèle et qui s’y oppose point par point. Salander est une suicide girl au look à la fois punk et gothique, une guerrière dont le passé traumatique a fait d’elle une créature de vitesse pure, pirate informatique invisible et redoutable, fantôme errant dans la nuit de Stockholm et prête à tout pour survivre. Fincher fait d’elle, après Mark Zuckerberg, Tyler Durden ou Robert Graysmith, un de ces êtres produits par la civilisation numérique, à mi-chemin entre le réel et le virtuel, dont la pensée et les mouvements épousent le rythme des processus informatiques. À ceci près que Lisbeth Salander est aussi un corps ultra-sexué (féminine et masculine, naturellement bisexuelle), une incarnation de ce nouveau monde encore en construction et qui entre en collision avec le monde d’avant. Une magnifique incarnation aussi, car l’incroyable Rooney Mara empoigne le personnage en faisant un doigt d’honneur au puritanisme hollywoodien ambiant — ça faisait longtemps qu’un blockbuster américain n’avait à ce point repoussé les limites de la censure, et ça fait un bien fou. Avec elle, le pouls du film s’accélère, dans une tachycardie spectaculaire dont le sommet est sans doute la sous-intrigue de viol et vengeance dont elle est tour à tour la victime et le bras armé. Millénium déploie ainsi avec une science particulièrement habile de la construction son véritable enjeu : lequel de ces deux corps va l’emporter sur l’autre, et quel monde va sortir de leur rencontre ?
Fincher repousse donc longuement le moment où la ligne Blomkvist et la ligne Salander vont se croiser. Ce choc attendu, le cinéaste le met en scène dans sa plus grande littéralité : l’enquête du journaliste est électrisée par les méthodes de la punkette, certes ; mais surtout le corps mûr et contraint du premier entre en contact avec celui, sans entrave et désinhibé, de la seconde, dans une scène de cul hallucinante où c’est elle qui prend l’initiative mais surtout le dessus (là encore, littéralement). Cet accouplement engendre un nouveau film où chaque plan semble habité par une fureur irrépressible, où les distances géographiques et temporelles sont abolies, où la violence se répand partout comme un mauvais virus et où même le récit ne semble sortir de son cours naturel. Dans The Social network, Zuckerberg le parvenu affrontait les jumeaux Winklevoss et leur morgue d’héritiers, raillant leur savoir pour affirmer son audace et sa volonté de puissance. Lisbeth Salander devient, devant la caméra de Fincher, sa sœur de fiction : grâce à elle, une page de l’Histoire suédoise se tourne (le rapport au nazisme, sur lequel le cinéaste ne s’appesantit pas, et c’est mieux comme ça) ; avec elle, une justicière ultra-contemporaine apparaît, corps désirable mais trop rapide pour être désiré, chevalier noir au féminin dont le Gotham city serait une Europe en proie à la corruption et à la mondialisation des échanges financiers. Héros négatif contre héroïne positive, mais les deux se retrouvent dans une même solitude, comme si les enfants du numérique ne pouvaient sortir de leur chambre ou sortir de l’ombre pour prendre le pouvoir sans subir l’ostracisme de ceux qui le détenaient jusqu’alors. À tous ceux qui pensaient voir dans ce Millénium américain un remake du Millénium suédois, le cinéaste leur répond qu’en grand auteur de films, il ne fait que remaker ses propres œuvres…
Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes
De David Fincher (ÉU, 2h38) avec Daniel Craig, Rooney Mara, Robin Wright, Christopher Plummer…
Crédit Photo : Ph : Merrick Morton © 2011 Columbia TriStar Marketing Group, Inc. All Rights Reserved.
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