Rafour Essafi : Inquiéter le regard qui rencontre l'image
Photographie / À la galerie Regard sud, Rafour Essafi déploie "Ombres de lumières", une exposition qui, oscillant entre photographie et peinture, sonde les seuils du visible et les fantômes du geste.

Photo : Reflets, 2022, 40 x 50 cm © Rafour Essafi
Dans Ombres de lumières, Rafour Essafi ne nous montre pas ce qu'il voit. Il nous donne à voir ce qu'il sent qui va disparaître. Ou apparaître. Il y a là une poétique du retrait, un art du bord. Ce qui se donne à voir n'est jamais frontal. Les formes émergent lentement, par couches, par halos, comme si elles avaient traversé un filtre ou un voile. On ne regarde pas ses œuvres : on les devine.

« Les images sont des objets archéologiques », nous dit-il. On les visite, exactement comme on se promène parmi des ruines anciennes - une des passions du photographe -, posant un regard qui, interrogeant le visible, laisse émerger l'invisible, documentaire ou imaginaire. Les œuvres du photographe ne saturent pas le regard mais, au contraire, l'ouvrent, car, comme il aime dire : « L'image n'a rien à voir avec la fixité : elle crée du mouvement. »
Entre photographie et peinture
Le travail de Rafour Essafi naît souvent dans l'obscurité du labo photo. À partir d'anciens clichés dénichés dans les marchés aux puces, il entame un processus de révélation et d'effacement. Les images argentiques sont plongées dans des bains qui les altèrent - parfois grâce à des solutions à base de farine - puis retravaillées, réenduites, repeintes. Il ne s'agit pas d'imprimer le réel, mais de troubler la mémoire anonyme enclavée dans les images.
Ce va-et-vient entre photographie et peinture est au cœur de son geste. La photo apporte la trace, la lumière figée ; la peinture, elle, réintroduit le souffle, le trouble. C'est dans ce frottement entre exactitude et intuition que ses œuvres trouvent leur respiration. On croit reconnaître une silhouette, un mur, un outil ; puis tout se dilue. L'image flotte, vacille. Elle devient surface de projection, lieu de pensée.
L'invisible comme matériau
Le manque n'est pas un défaut chez Essafi, c'est un moteur. Un langage. Dans ses œuvres, ce qui compte n'est pas ce qui est montré, mais ce qui affleure. La lumière devient ombre, l'empreinte devient présence, la matière devient seuil. Les couches sédimentées de ses supports racontent des gestes disparus, des corps absents, des architectures oubliées. « Rien n'est donné d'emblée, c'est ça pour moi la question », affirme le photographe, et c'est à partir de cet incipit que le regard active son pouvoir d'imagination, établissant des connexions, ravivant d'anciens souvenirs, ou, tout simplement, saisissant ce qu'il y a de commun entre nous et les fragments fantomatiques.

Ombres de lumières est un hommage silencieux. Pas une commémoration, mais une attention fine portée à ce qui fuit : le regard, la mémoire, la narration. La galerie Regard Sud accueille cette présence fragile comme on accueille une respiration lente. Rien d'illustratif ici, encore moins de spectaculaire. Juste ce moment rare où l'art ne dit pas : il écoute.
Ombres de lumières par Rafour Essafi
Jusqu'au 12 Juillet 2025 à la galerie Regard sud (Lyon 1er) ; entrée libre