Zero Dark Thirty

Zero Dark Thirty
De Kathryn Bigelow (ÉU, 2h29) avec Jessica Chastain, Jason Clarke...

Sur la traque de Ben Laden par une jeune agent de la CIA, Kathryn Bigelow signe un blockbuster pour adultes, complexe dans son propos, puissant dans sa mise en scène de l’action, personnel dans le traitement de son personnage principal. Christophe Chabert

Dans Démineurs, Kathryn Bigelow montrait avec un mélange de fascination et de distance critique le travail de quelques GIs en Irak drogués à l’adrénaline guerrière. La soif d’action et d’efficacité de la cinéaste concordait avec leur propre plaisir du danger, jusqu’à ce qu’un vide existentiel vienne les aspirer dans la dernière séquence. Zero Dark Thirty est comme une variation autour du même thème, à ceci près que le sujet est encore plus explosif : comment, durant dix longues années, Maya (Jessica Chastain), va pister Oussama Ben Laden, d’abord comme une jeune agent de la CIA intégrant une équipe chevronnée, puis seule face à l’inertie de sa hiérarchie. Écrit en épisodes scandés par les nombreuses défaites occidentales contre cet ennemi fantomatique, Zero Dark Thirty raconte dans un même geste l’enquête, ses erreurs, ses impasses et son succès final, et l’apprentissage de Maya, ce qui pour Bigelow revient à lui conférer l’aura d’une héroïne.

Défaite intérieure

Dès le premier mouvement, une longue et éprouvante séquence de torture : Maya se tient dans une zone grise, témoin passif de l’interrogatoire mais déjà déterminée à ce que celui-ci débouche sur une avancée concrète, elle doit ensuite faire ses preuves par sa capacité à réfléchir, laissant l’équipe en place se charger de l’action. Le scénario ne remet jamais en question ni les méthodes, ni la justesse de son combat ; en cela, comme Argo, Zero Dark Thirty est clairement un film pro-CIA. Cependant, la mise en scène comme la réalité des faits viennent gripper cet éloge : au bout de huit ans, rien n’a avancé, et les agents ont beau se plaindre des retournements de l’administration Obama vis-à-vis de leurs pratiques, leur échec est patent. Le film entre alors dans son incroyable deuxième moitié : celle où Maya prend les choses en main, fait de la traque une vengeance personnelle et finit par gagner la confiance des autorités. Bigelow, comme son personnage, met à son tour les mains dans le cambouis et retrouve sa casquette de cinéaste d’action. L’assaut du QG par les marines donne lieu à un climax tétanisant en temps réel où elle multiplie les points de vue et les régimes d’images, mais dont le but est de laisser Maya seule face à elle-même, à la fois victorieuse publiquement et défaite intérieurement. Ce dernier acte sonne aussi comme une mise en abyme du statut de Bigelow : une cinéaste qui ne s’épanouit pleinement que dans un univers hautement masculin et viril.

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