La Bataille de Solférino

La Bataille de Solférino
De Justine Triet (Fr, 1h34) avec Lætitia Dosch, Vincent Macaigne...

Un micmac sentimental autour d’un droit de visite paternel le soir de l’élection de François Hollande. Bataille intime et bataille présidentielle, fiction et réalité : Justine Triet signe un film déboussolant dont l’énergie débordante excède les quelques défauts. Christophe Chabert

Vincent et Lætitia sont séparés ; ils ont eu deux enfants ; Lætitia a obtenu leur garde, Vincent un simple droit de visite qu’il applique n’importe comment, et son comportement un brin borderline ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Ce drame ordinaire a été raconté mille fois, mais La Bataille de Solférino lui donne une dimension cinématographique unique : Lætitia est journaliste à Itéle et là voilà contrainte d’aller couvrir les résultats du second tour de l’élection présidentielle, le 6 mai 2012, au siège du PS rue de Solférino. Là encore, le scénario est connu, mais c’est le télescopage entre ces deux dramaturgies écrites d’avance – la crise du couple séparé et la victoire de François Hollande – qui donne au film sa vibration d’incertitude.

Justine Triet fait entrer la fiction dans la réalité par surprise et sans filet ; quand Vincent débarque rue de Solférino dans la ferme intention de régler ses comptes avec son ancienne compagne, on craint à plus d’une reprise que cette foule en liesse, ivre mais pas que de joie, ne s’en prenne à lui comme s’il était un trouble-fête un peu trop hargneux pour les circonstances.

La France coupée en deux

Cette corde raide, La Bataille de Solférino ne la tient pas seulement dans ce morceau de bravoure, où la cinéaste arrive à tenir son cap au milieu de la tempête, s’offrant même d’époustouflantes images en plongée où l’on voit les comédiens fendre la masse compacte des militants déchaînés. L’inquiétude suinte de partout, que ce soit dans la séquence où Vincent arrive à s’introduire chez Lætitia avant d’être raccompagné poliment mais fermement par un voisin vers la sortie, ou encore dans la scène où des militants UMP, pull autour des épaules et visages de scouts pubères, provoquent grossièrement l’autre camp. Une tension qui culmine dans l’impressionnant face-à-face final, où les coups font mal, mais les mots encore plus, et où les combattants finissent épuisés, obligés de déposer les armes.

Triet doit une grande part de cette réussite à ses comédiens, à commencer par Vincent Macaigne, aussi génial ici qu’il était pitoyable dans La Fille du 14 juillet, mais aussi à Lætitia Dosch, crédible en mère tyrannisée comme en journaliste dépassée. On pardonnera donc à Triet quelques digressions inutiles qui ramènent le film vers un beaucoup plus attendu horizon auteuriste ; le reste n’est qu’énergie et vérité.

La Bataille de Solférino
De Justine Triet (Fr, 1h43) avec Lætitia Dosch, Vincent Macaigne, Virgil Vernier…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 3 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Mardi 21 mai 2019 Une psy trouve dans la vie d’une patiente des échos à un passé douloureux puis s’en nourrit avec avidité pour écrire un roman en franchissant les uns après les autres tous les interdits. Et si, plutôt que le Jim Jarmusch, "Sybil" de Justine Triet,...
Mardi 9 février 2016 Anne Fontaine, qui apprécie toujours autant les sujets épineux (et a pris goût aux distributions internationales), en a débusqué un en Pologne : l’histoire de religieuses enceintes après avoir été violées par des soudards soviétiques… Surprenant....
Mardi 18 novembre 2014 Présenté comme un film sur l’histoire de la French Touch, "Eden" de Mia Hansen-Love évoque le mouvement pour mieux le replier sur une trajectoire romanesque : celle d’un garçon qui croyait au paradis de la house garage et qui se retrouve dans...
Mardi 3 juin 2014 Premier film sous influence Wes Anderson de Vincent Mariette à l’humour doucement acide, où deux frères et une sœur partent enterrer un père devenu un fantôme dans leur vie, pour un road movie immobile stylisé et séduisant. Christophe Chabert
Mercredi 22 janvier 2014 De Guillaume Brac (Fr, 1h40) avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Menez…
Vendredi 20 décembre 2013 "Les Sorcières de Zugarramurdi" (Alex de la Iglesia), "Nymphomaniac volume 1" (Lars von Trier), "Ida" (Pawel Pawlikowski), "Tonnerre" (Guillaume Brac)
Mercredi 18 décembre 2013 Un joli premier film signé Sébastien Betbeder, à la fois simple et sophistiqué, qui raconte des petites choses sur des gens ordinaires en tentant de leur donner une patine romanesque, comme un croisement entre les chansons de Vincent Delerm et...
Vendredi 7 juin 2013 Premier long-métrage d’Antonin Peretjatko, cette comédie qui tente de réunir l’esthétique des nanars et le souvenir nostalgique de la Nouvelle Vague sonne comme une impasse pour un cinéma d’auteur français gangrené par l’entre soi. Qui mérite, du...
Mercredi 19 décembre 2012 L’award du meilleur film de l’année : Holy Motors De Leos Carax, on n’attendait plus grand chose, après treize ans de silence et un Pola X extrêmement (...)
Jeudi 16 août 2012 Véritable rock-star du théâtre de ces dernières années, le metteur en scène Vincent Macaigne retrouve le cinéma en tant que simple comédien avec "Un monde sans femmes", de Guillaume Brac. Un premier film réussi, notamment grâce à ses acteurs,...
Jeudi 10 novembre 2011 Après avoir secoué un festival d’Avignon par trop vaporeux, la dernière création de Vincent Macaigne, Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, arrive cette semaine sur les planches fébriles de la MC2. Portrait de l’artiste en rock star du théâtre...
Lundi 12 septembre 2011 Fin 2009 : les Jeunes populaires, bébés UMP menés par le truculent Benjamin Lancar, livraient au monde entier un lip dub mémorable où l’on découvrait une (...)
Vendredi 1 juillet 2011 Pour son passage à la forme cinéma (avec un moyen-métrage de quarante minutes), le metteur en scène Vincent Macaigne, déjà aperçu par deux fois à la MC2, conserve (...)
Mercredi 16 décembre 2009 Mardi soir avait lieu la première des quatre soirées "Cabaret(s)" de la MC2. Avec une Meret Becker renversante et – surtout – un Vincent Macaigne tonitruant. A voir.
Lundi 7 décembre 2009 PORTRAIT / En avril dernier, au sujet d’une représentation à Orléans de son Idiot ! d’après Dostoïevski (présenté à la MC2 la saison passée), Vincent Macaigne nous (...)
Vendredi 4 décembre 2009 SPECTACLE. Bien que nous n’ayons pu voir qu’un seul des cinq spectacles programmés, on fait quand même notre "une" sur les quatre soirées Cabaret(s) de la MC2. Parce que les artistes choisis sont passionnants, parce que ça fait du bien de sortir des...
Lundi 20 avril 2009 Pour Iodiot!, le metteur en scène Vincent Macaigne revient avec nous sur ses méthodes de travail, son rapport au roman de Dostoïevski et à la matière théâtrale. Propos recueillis par François Cau

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X