Marina Foïs : « Ma liberté d'actrice est de ne pas surveiller »

À l’affiche tout l’été, et notamment dans le film-choc As Bestas de Rodrigo Sorogoyen au côté de Denis Ménochet, Marina Foïs raconte en compagnie du réalisateur espagnol l’aventure de ce tournage. Et se livre sans fausse pudeur sur son métier d’actrice. Conversation décontractée sur un film tout en tensions…

Qu’aviez-vous vu du travail de Rodrigo Sorogoyen avant qu’il vous sollicite pour As Bestas ? Qu’avez-vous trouvé — que vous espériez peut-être — dans ce scénario ?

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Marina Foïs : Il se trouve que je vais beaucoup au ciné et un été, j’étais à Paris et il y avait un film dont on parlait beaucoup, qui s’appelait Que Dios nos perdone qui avait un super bouche à oreille. Donc j’avais été le voir, j’avais adoré : ça m’avait beaucoup fait penser à Memories of Murder,   qui est un de mes films préférés. Après, j’ai vu El Reino Madre n’était pas sorti à l’époque — et un jour, en fin de déconfinement, j’ai reçu un coup de fil de mon agent qui m’a dit : « Rodrigo Sorogoyen voudrait que tu lises son scénario », j’ai fait  wow ! J’ai lu et j’ai dit oui, évidemment ; j’aurais pu lui dire oui sans lire. Et puis j’ai demandé s’il rencontrait d’autres personnes (en général, les metteurs en scène étrangers viennent à Paris pour rencontrer quatre-cinq personnes) et on m’a dit « non : c’est pour toi ». Je suis tombée de ma chaise.

Et je n’attendais du scénario rien de spécial : quand on a un grand metteur…  J’attendais surtout de savoir exactement comment cela allait se passer concrètement : quel jour j’arrive en Espagne, en gros quoi. Quand c’est un metteur en scène qu’on adore, c’est clair en fait. Et puis apprendre l’espagnol.

Rodrigo, pourquoi Marina Foïs ?

Rodrigo Sorogoyen : J’avais besoin d’acteurs français (rires). On a commencé à réfléchir et subitement on est arrivé sur Marina que j’avais vue dans Polisse de Maïwenn. Et on l’a rencontrée…

Après la disparition de son époux, votre personnage fait le choix surprenant de rester…

M.F. : Pour moi, c’est limpide. La première fois qu’on s’est rencontré avec Rodrigo, on s’est dit que c’était aussi un film d’amour et c’est ce qui m’a plu : cette  espèce de couple qui n’a pas de projet autre que d’être avec l’autre dans la première partie.

Elle semble un petit pas en arrière. Mais à partir du moment où il disparaît, quitter l’endroit ce serait le quitter une deuxième fois. D’abord, il y a un truc très évident : il n’y a pas de corps, et donc, pas de deuil. Le père d’Estelle Mouzin, il a cherché sa fille pendant plus de 25 ans ; je pense c’est un deuil impossible. L’enterrement, symboliquement, c’est quelque chose de très important. On le voit dans le documentaire espagnol qui est consacré aux protagonistes de l’affaire dont est inspiré le film : le moment où elle va pouvoir enfin faire une tombe, récupérer les cendres… C’est symboliquement très important.

Dans ce documentaire, ce qui m’a saisie quand elle raconte son histoire, c’est qu’elle est seule, comme un rat. C’est une idée de la solitude qui pour moi est terrifiante. Et pourtant, je ne la sens pas seule, elle est complètement habitée par lui. Elle est deux : lui disparaît, mais elle devient deux personnes. Et c’est pour ça qu’ elle reste. 

Et puis, il y a un autre truc que j’aime dans ce film, c’est que c’est un film de non-vengeance, qui raconte une autre solution que celle de se venger en y trouvant du sens : celui de ne pas céder. Son mari veut gagner en asservissant l’autre — c’est plutôt masculin — ; elle gagne autrement en restant là et en quittant le statut de victime. Sinon, ça ferait gagner l’autre deux fois.

Mais ce qui m'intéresse le plus dans le film, c’est comment elle va survivre. Je suis très admirative quand on entend des faits divers, ponctuellement, où des parents qui ont perdu leurs enfants dans un accident tragique ou dans des attentats, tiennent un discours d’une humanité… Ce sont leçons de courage pour traverser tout ça. De mon personnage d’Olga, je pourrais apprendre la liberté des choix, le courage, jamais lâcher…

Aviez-vous des éléments sur le passé de votre personnage, sur ce qui l’a poussée à s’installer dans coin de Galice ? À effectuer cette rupture de vie ?

M.F. : On sait que je suis prof d’histoire-géo, voilà… Mais dans le documentaire, c’est encore plus radical : ce sont des gens qui, à 20 ans, avaient décidé de fuir la société de consommation — ce qu’on appelle des néo baba-cool — qui ont pris un van pour faire un tour du monde en deux ans jusqu’à trouver l’endroit où ils allaient se poser.

Moi, je n’imaginais pas pour eux un truc aussi radical — le retour à la terre, c’est un truc de bobo en fait, très français, une espèce d’idéal. Je pensais aussi que le silence, la lumière et être tous les deux, ça leur suffisait. C’est quand même pas banal de partir loin de sa fille de 22 ans, c’est un choix assez radical.

Le documentaire auquel vous faites référence, Rodrigo vous a-t-il demandé de le voir ?

M.F. : C’est pas une demande, c’est une suggestion. Après, c’est très intéressant comme le scénario est très écrit et qu’il y a des éléments fictionnels, c’est pas du tout construit pareil. Et surtout le documentaire, c’est elle qui se raconte quinze ans après les faits. C’était tout à fait inspirant sans être bloquant.

Moi, ça m’a beaucoup, beaucoup servi pour surtout comprendre. Parce que je suis la fille la moins rurale du monde — j’aime la pollution, moi (sourire) — je ne suis pas cette femme-là. Ce qui était presque le plus dur à jouer, c’était jouer l’absence. Avec le documentaire, j’ai compris et j’ai ressenti des choses.

La tension est constante dans le film…

M.F. : En tout cas, ce n’était pas un plateau tendu : Rodrigo n'est pas du tout dans cette espèce de mythologie où, pour que l’acteur souffre à l’écran, il faut qu’il souffre en vrai…C’est assez génial, mais je crois que ça se sent dans le film, ce plaisir que lui prend sur le plateau  — le plaisir du travail et la joie de faire du cinéma.

Ce n’est parce qu’on fait un drame qu’on est obligé d’être triste, bien au contraire ! C’est très vivant, avec plein de joie à la caméra, à la lumière, avec les acteurs ; dans le plaisir de fabriquer, de discuter, de pas être d’accord par moment… (rires) 

Rodrigo, concernant la tension, il y a un élément de votre grammaire cinématographique, c’est le plan-séquence. Comment l’avez-vous réinventé ici pour servir la tension, et dans quelle mesure a-t-il permis aux comédiens de construire leurs personnages dans les moments-clefs où vous l’utilisez ?

R.S. : C’est évident qu’avec le plan-séquence, il y a déjà une question de pression de tournage. Dans ce film, il y a deux plans-séquences énormes : l’un masculin, l’autre féminin. Non seulement on voit les rôles, les personnages qui sont dans une tension incroyable, mais on voit aussi les acteurs dans la tension du plan-séquence. Et on sent la tension de l’équipe, dans l’intention de faire bien son travail. Tout cela aide et donne ce que vous notez à l’écran.

M. F:  En l’occurrence, cette scène avec “ma fille“, on l’a répétée beaucoup, c'était hyper intéressant. 

R.S. : On l’a répétée deux jours avant…

M.F. :… le dimanche, tous les trois, dans un hall d’hôtel. Le lundi soir on tourné dans le décor et Rodrigo “était“ la caméra.

R.S. : je commençais à repérer mes plans.

M.F. : Et après, on a répété avec la caméra et l’équipe sur le tournage. On a fait cinq prises, je crois.

R.S. : Sept !

M.F. : Ah bon ? Ouais mais franchement, on aurait pu en faire quatorze ou quinze. Ce qui est très agréable pour tout le monde dans le plan-séquence, c’est que on n’a pas le choix : il faut qu’on soit tous ensemble en même temps. Donc il y a une espèce de concentration et un plaisir qui sont très différents pour toute l’équipe et les acteurs.

Après, la chance en imposant un séquence qui dure douze minutes, c’est qu’on ne peut pas savoir où on va aller. On ne peut pas maîtriser, on ne peut pas avoir une intention pour la phrase 184 qui arrive à une minute… C’est un voyage : tu commences et tu ne sais pas où tu vas aller. Et moi, j’adore ça. C’est un grand plaisir de jeu.

R.S. : Et il y a des moments, pour moi, magiques. Comme quand Marina dit à sa fille « tu m’écoutes ! ». C’est pour ça que je veux qu’on le voie sur grand écran.

M.F. : Il y en a d’autres, sur les tournages où on devient con — c’est vrai, on a plus du tout de distance. Par exemple, la comédienne qui joue la mère des assassins de mon “mari“. Très sincèrement, je n’avais sincèrement pas envie de lui parler. C’est un peu ridicule (rires)

Le film se déroule sur quatre saisons. Avez-vous tourné en continu ou bien avez-vous été forcés de faire des pauses ?

R.S. : On a été obligés de faire une pause au mois d’octobre. On a tourné en septembre, pour l’été, en novembre et on eu la neige pour la dernière semaine de décembre.

M.F. : Alors que normalement, il neige en février là-bas.

Marina, vous montrez dans le film un visage peu apprêté — très différent de celui, par exemple, réservé à la promotion. C’est une exigence du tournage ?

RS : Pourtant, on a fait le maximum (rires)

M.F. : Évidemment, je suis actrice, j’ai vieilli… 

Ce n’était pas la question…

M.F. : Si si c’est la question (rires) Mais j’ai trouvé une solution qui, pour moi, est très pratique et qui va avec le goût que j’ai du cinéma : dans les films, je fais donc autant que ça me coûte, ce qu’on me demande. Et en général, c’est ce qui sert le film et le personnage. Si ça sert le film, ça me sert moi en tant qu’actrice. Et j’aime beaucoup être actrice, je le fais très sérieusement. Donc, tout ce qui va me permettre, par intérêt, d’être mieux, c’est d’être quasi pas maquillée, avoir des taches sur la gueule, les cheveux bruns… Je dis oui, quoi, c’est très pratique !

Après, tout ce qui est promo, j’ai été prendre d’une robe chez un designer que j’aime — Nicolas Ghesquière —, je suis maquillée par quelqu’un en qui j’ai confiance, je fais attention à mes cheveux. Je m’autorise à maîtriser tout ce qui est l’image de moi en promo, et j’essaye de ne rien maîtriser sur le tournage parce que je crois que c’est ce qu’il faut faire. Ma liberté d’actrice est de pas surveiller, je viens jamais vers le combo, je ne regarde pas les photos du film pendant le tournage, je veux pas me mettre de l’autre côté et je crois que j’ai raison, en fait.

Avec des bons metteurs en scène, quand je fais des bons films, j’arrive à m’oublier quand je vois le film. Peut-être que j’ai des questions techniques de jeu. Mais je me trouve rarement moche. Le film est souvent plus fort que ma problématique.

Est-ce difficile de tourner dans un tel environnement, entre le relief et les conditions météorologiques ?

R.S. : Tout le travail de l’équipe de production consistait à rendre cet l’endroit le plus commode possible pour le réalisateur. Pour moi, c’était bien, mais pour eux c’était très dur. En tout cas, quand il y avait des moments de pression ou frustration, il me suffisait de sortir de la maison et de voir les montagnes pour qu’en deux secondes, j’oublie tout. Et je pouvais retourner au travail.

Dans la ville, à Madrid, il n’y a pas ça : quand tu sors, il y a les voitures, beaucoup sollicitations… Là-bas, j’ai expérimenté une sorte de paix et c’était parfait pour le travail. Tous les matins, on prenait la voiture à 6h pour 40 minutes de route dans les montagnes, à voir le soleil se lever…

M.F. : Ça m’a quand même beaucoup fait penser à l’Italie du Sud, où j’ai une maison : c’est un endroit comme ça, un peu abandonné des pouvoirs publics, qu’on adore en tant que touriste, parce qu’il n’y a pas de magasin Zara, pas de transports en commun ; qu’on adore parce qu'on y passe trois semaines. Les dialectes, également : je parle italien, mais je comprends rien au dialecte. Mais si je devais m’exiler, ce serait au bord de la mer — et là où on était en Gallice, il n’y avait pas la mer. Sinon, faut que je trouve mon fermier. Peut-être par amour ? Non ! (rires) Je ferai des allers-retours.

Et vous Marina, comment avez-vous supporté ces conditions de travail ?

M.F. : Elles étaient bien pour le rôle : le froid, la pluie… Et pour moi, être très loin de chez soi ou de ses amis, de ses enfants, de sa langue maternelle, ça crée une sensation de solitude. Je n’avais pas à chercher très loin ; évidemment que ça m’a aidé. Je suis arrivée vers le 7 septembre et je suis définitivement rentrée chez moi le 16 décembre. Oui, ça été dur et intense… Mais c’est la vie normale, quoi, et j’en garde le souvenir très fort d’une expérience de travail très joyeuse.

Rodrigo, auriez-vous envie de refaire une série ?

R.S. : Oui. En fait, on a un projet de série pour le futur. Ça dure 6 heure, donc c’est très très ouvert. Pour moi, c’est la même, la même façon de travailler : aller au tournage, écrire, avec les mêmes codes, avec les mêmes paradigmes mais il faut savoir qu’il y a six épisodes, donc si fins et si débuts à faire…

 

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