Un monde parallèle

À l’occasion de leur soirée exceptionnelle organisée avec le C.C.C. ce samedi à la Salle Juliet Berto, retour sur le crew Nanarland, défricheurs passionnés du cinéma « si mauvais qu’il devient bon ». Damien Grimbert

La plupart d’entre-vous en a sans doute déjà fait, inopinément, l’expérience : au détour d’un zappage tardif, à la lecture d’une jaquette honteusement mensongère, ou appâté par la description d’un initié à l’enthousiasme communicatif, on tombe sur un film aux situations hautement improbables ou absurdes, au doublage bâclé à l’extrême, peuplé d’acteurs mauvais comme c’est pas permis, et à la mise en scène tellement mal foutue qu’elle donne presque mal au cœur.

A partir de là, plusieurs solutions possibles : le dédain immédiat, le ricanement cynique et vaguement méprisant, ou le franc éclat de rire, suivi de la montée d’une irrépressible interrogation : Comment un truc aussi taré (dans tous les sens du terme) a-t-il pu être filmé, monté, diffusé, et trouver sa place, aussi infime soit-elle, dans l’histoire du cinéma ?

Il était une fois

Cette dernière réaction constitue sans doute le socle fondateur sur lequel s’est bâti Nanarland. « Ça a commencé en 2001, on était un petit groupe de 5 personnes, à la recherche de films nazes devant lesquels se marrer. On a un peu cherché sur Internet des sites abordant le sujet, sans succès. Ce qui nous a amené à créer le site Nanarland » résume Régis Brochier, l’un des fondateurs. Progressivement, le site commence à attirer, par le biais de son dynamique forum, un certain nombre de cinéphiles, détenteurs d’une ample culture cinématographique. « Il faut bien voir qu’on n’a rien de pionniers : cela fait déjà des dizaines d’années que des cinéphiles s’intéressent aux zones “honteuses“ du cinéma. On a juste créé une vitrine sur Internet, et fédérés quelques fans. Il y a quinze ans, on aurait sans doute été un fanzine. »

Et ce sont ces rencontres qui vont permettre au site, deux ans plus tard, de passer au niveau supérieur : « C’est là qu’on a vraiment pris conscience de l’existence d’une face obscure du cinéma, d’une sorte de culture parallèle peuplée de sous-genres, avec ses aspects économiques, son réseau d’acteurs, de producteurs, de réalisateurs… Ça nous a donné envie de voir de nouveaux films, permis de tisser des liens entre eux, et on a complété le site par des interviews, des biographies pour reconstituer tout le contexte de cette sous-culture. On a ainsi élargi le panel du site, solidifié son aspect cinéphile, ce qui lui a permis d’atteindre sa vitesse de croisière en 2003. »

Punks, rayons lasers et mannequins en mousse

Désormais constitué d’un noyau dur d’une dizaine de personnes travaillant d’arrache-pied, occasionnellement complété par la contribution de visiteurs, le site, toujours amateur et dénué de toute publicité, s’impose rapidement en référence et attire toujours plus de monde (actuellement près de 7000 visiteurs par jour, et près d’un million de pages visitées par mois). Raison, parmi d’autres, de ce succès, une sincérité dénuée de tout cynisme :

« On n’est pas du tout dans une culture du déni, à tirer sur l’ambulance... On aime vraiment ces films, on a de la tendresse pour eux ! Au tout début, quand on a découvert les films post-apocalyptiques italiens fauchés des années 70/80, comme Les guerriers du Bronx ou Les Nouveaux barbares, on s’est dit : s’il y a des trucs comme ça, tournés dans des carrières, avec des punks ridicules, des mannequins en mousse, des rayons lasers, qu’est ce qu’on doit pouvoir trouver en fouillant un peu ! Et effectivement, depuis notre création, on n’est jamais au bout de nos surprises. Entre les “2 en 1“ hongkongais de Godfrey Ho (2 mauvais métrages distincts remontés en un seul, à la continuité scénaristique (mal) recousue par une équipe de doubleurs et monteurs dilettantes, NDLR), les remakes turcs épileptiques sans aucun budget de blockbusters hollywoodiens comme Turkish Star Wars, ou la mine d’or constituée par le cinéma Z philippin, c’est un puit sans fond… En même temps, on ne se situe pas non plus dans une niche clairement définie : la notion de nanar reste très subjective, c’est avant tout un film qui provoque involontairement des fous rires, et ça inclue donc aussi pas mal de gros budgets et de films tout public. À l’inverse, certains films de genre à petit budget et dénués d’effets numériques n’en sont pas moins de purs chef-d’œuvres comme New York 1997 de John Carpenter. D’où un certain aspect pédagogique sur le site, avec deux niveaux de lecture, à la fois des chroniques, des vidéos, des images, et des références comme Chuck Norris ou Steven Seagal pour ceux qui découvrent, et des articles de fond assez pointus et pointilleux pour les initiés. »

L’invasion a commencé

Autre évolution importante, la “dévirtualisation“ du site par le biais des Nuits Excentriques, un rendez-vous annuel organisé à Paris depuis 2005 en partenariat avec la prestigieuse Cinémathèque Française.
Réunissant projection de nanars à foison, montages d’extraits, bandes-annonces, documentaires, dans une ambiance conviviale, flirtant parfois avec l’hystérie collective pure et simple, les Nuits Excentriques sont depuis leur création un succès hors norme, dont on attend la déclinaison grenobloise avec une impatience qu’on ne cherchera même pas à dissimuler.

COMPLÈTEMENT CINGLÉS DE CINÉMA, sam 26 janvier à 20h, à la Salle Juliet Berto. Plus d’infos sur nanarland

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