Armadillo

«Il faut y être pour comprendre ce qui se passe ici» : ce credo de soldats retranchés dans un camp militaire en Afghanistan, le documentariste Janus Metz l’interroge par le biais de sa mise en scène, pour un rendu aussi saisissant que porteur de questionnements lourds de sens. François Cau

Récemment, le cinéma de genre a usé et abusé du “style documentaire“ pour renforcer l’efficacité de la fiction, avec des résultats plus ou moins convaincants. Le film de Janus Metz renverse ce postulat : embarqué aux côtés de jeunes recrues détachées au camp d’Armadillo en Afghanistan, il choisit de mettre sciemment en scène chaque séquence, peaufine ses cadres et éclairages au point de brouiller la donne. Avec ses images clinquantes, c’est limite si Armadillo ne se poserait pas en successeur “ciné-vérité“ de La Chute du Faucon Noir ! Mais la réalité du film est bien évidemment tout autre, une somme de partis pris narratifs que le réalisateur traduit dans son montage. Dans sa réinterprétation cinématographique de la captation brute des images, il pose déjà le fait que les soldats qu’il va suivre sont des gosses. Avant de partir en mission, ils se paient une soirée avec une stripteaseuse. Sur place, ils blaguent, matent des pornos ensemble, jouent à Call of Duty. En un raccord – certes facile mais terriblement efficace – avec ledit jeu vidéo, Metz rappelle la réalité du conflit : derrière cette camaraderie se cache une trouille tangible, accentuée par l’inexpérience, l’isolement, le dépaysement, et toute la parano qui va avec. Caméra embarquée
L’immersion est totale, sans voix-off ou commentaires sur le vif du réalisateur. Janus Metz suit les soldats sans remettre en question leur présence même ou l’origine du conflit. Ils sont là, point barre, et vont vivre une série de chocs puissants qui les changera à jamais. Témoin forcé de cette ambiance où l’on rivalise d’attitudes bravaches pour tenir le coup, le spectateur est forcément de plus en plus crispé. Un premier dommage collatéral survient, dont on ne verra que les incidences sur le moral du responsable, et le malaise grandit, pour atteindre son apogée lors d’un raid sur une position taliban. Le film de Janus Metz ne peut pas reculer, éluder le chaos et l’atrocité qui s’ensuivent. Révulsé par ce qu’on vient de voir, Armadillo nous emmène encore plus loin dans les séquences “d’analyse“ de cet épisode traumatisant de son récit. Il n’est plus question d’empathie avec l’un ou l’autre des protagonistes. Le propos du film, au-delà de toute la colère qu’il peut susciter, est limpide : la guerre est là, elle existe. Et son impact sur ses acteurs de premier plan nous en dit plus long que n’importe quel discours. En un geste cinématographique à la témérité sidérante, Janus Metz arrive à rendre cette donnée palpable en quelques regards, qu’ils soient perdus ou décidés. Armadillo
De Janus Metz (Danemark, 1h40) documentaire.

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