Malices picturales

Sigmar Polke

Musée de Grenoble

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Expérimenter la matière, de la peinture aux drogues, déconstruire l’image jusqu’à créer une ambiguïté entre abstraction et figuration, faire du support le motif : l’œuvre de Sigmar Polke est marquée par l’hétérogénéité. Le Musée de Grenoble dévoile la diversité de cette peinture à travers une exposition consacrée à l'artiste allemand, entre humour et politique. Charline Corubolo

La scénographie est un art compliqué, une difficulté souvent détournée par le choix d’une exposition chronologique, à l’image de celle proposée actuellement par le Musée de Grenoble sur les dernières années de création de Sigmar Polke, de 1980 jusqu’à sa mort en 2010. Sauf qu’ici cette simplicité apparente a été judicieusement étudiée pour offrir un panorama pertinent. À l’exception de quelques sauts temporels dans le parcours, l’ensemble suit le fil des années, manifestant des multiples directions plastiques dans lesquelles l’artiste s’est engagé.

Mais la véritable force de l’entreprise réside dans une lecture audacieuse des tableaux, et cela dès la première salle. Faisant face au spectateur, des personnages découpés dans le noir de la toile masquent leurs visages avec leurs mains (Mains, 1986-1988, voir Une). Le sujet peint se méfie de ce qu’il peut voir, se dérobe à une réalité visuelle « suggérée ». Une méfiance de l’image qui forme la base du questionnement de l’artiste, si bien dans la construction esthétique que dans le développement critique. En véritable perturbateur de signes, il défait les visions stigmatisées de l’Histoire pour dévoiler l’envers des décors. 

Histoires cachées

Cet envers est souvent engagé, débordant parfois sur la cruauté d’une société, et noyé dans une profusion de couleurs et de points. Un contraste qui brouille les pistes, non sans lien avec le vécu personnel du peintre (voir ci-contre). Le début des années 1980 signe l’affirmation de sa pratique et des messages plus politisés. Les formats prennent de l’ampleur, l’alchimique de la couleur se renforce et la volonté à triturer les images aboutit à des œuvres complexes. La toile intitulée Art dégénéré (1983) synthétise les différentes expérimentations de l’artiste entre recherche d’une nouvelle pigmentation et grossissement de trame imprimée, dont le rendu pictural gomme les frontières entre abstraction et figuration.

En plus d’une réflexion interne sur le statut de la peinture, l’artiste fait référence à l’Histoire de l’Allemagne et celle de l’art. Grace à la contextualité, l’œil finit par débusquer les croix gammées cachées au dessus la foule qui patiente pour une exposition. Il dénonce l’aliénation d’un peuple tout entier et la répression d’un art. Au-delà d’un registre germanique, cette critique s’applique à un ensemble commun à tout à chacun, une volonté d’éveiller le collectif sur ce que la société lui donne à voir, c’est-à-dire une pensée unique qui n’est pas forcément la plus juste. Pour se faire, le peintre pioche dans la presse des images et les double d’un titre qui prête à confusion, plus encore il use des différents moyens plastiques pour ouvrir la réflexion. Cette ambition de réveil le pousse dans un schéma créatif qui renouvelle la nature même de la peinture en faisant du support une image qui transperce les couches picturales. Dès les années 1990, la toile devient translucide laissant apparaître le châssis et donnant littéralement à voir l’envers du décor, l’autre côté d’un monde dominé, message sous-jacent, par une imagerie médiatique parfois faussée. 

Humour mystique

Mais Sigmar Polke ne saisit pas seulement des sujets graves et porte également un regard teinté d’ironie sur le passé, comme sur le présent. Un humour mit au service d’une quête de la matière qui sera passée par nombres d’expérimentations et dans laquelle la frontière entre abstraction et figuration est de plus en plus ténue. Lorsque sur un grand format il laisse les coloris devenir un élément volatile et, sous apparence, sans contrôle, il rappelle que les images ne sont jamais gratuites en intitulant la peinture Leonardo (1984, laque sur toile). L’Homme de Vitruve de Leonard de Vinci est ramené à un dessin coloré et corrosif, à tout les sens du terme.

Une fantaisie souvent couplée à des sujets mystiques dont les expériences tombées dans l’occulte amuse le peintre. La composition est décortiquée pour renverser les codes prédéfinis du monde visuel : une médium se transforme en figure ecclésiastique s’adonnant à la lévitation d’objet et des carrés magiques mettent en forme le système solaire, avec cette même obsession pour faire de la couleur un sujet à part entière de l’œuvre. Des thèmes qui peuvent apparaître comme des démonstrations transcendantales, mais qui résulte en réalité d’une envie de bouleverser les catégories de l’art et de proposer une échappatoire visuelle contre les masses médias.

Sigmar Polke, jusqu’au 2 février 2014, Musée de Grenoble

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