Atypiquement vôtre

Claire Diterzi, artiste difficilement classable mais diablement intéressante, sera sur la scène de la Rampe en mars. L’occasion de la rencontrer pour évoquer Tableau de chasse, son dernier album passé malheureusement inaperçu. Propos recueillis par Aurélien Martinez

Petit Bulletin : Comment vous est venue l’idée d’un album où chaque titre serait basé sur une œuvre d’art ?
Claire Diterzi : Assez naturellement, après avoir écrit de la musique pour de la danse, du cinéma, du théâtre… J’avais envie de continuer à écrire à partir d’arts vivants. Dans ma jeunesse, j’ai fait du graphisme, des études d’histoire de l’art ; je suis revenue à mes premières amours comme ça.

Mais c’est plus votre émotion qui parle plutôt que vos connaissances d’historienne…
Absolument. J’ai choisi des tableaux et des sculptures qui racontent tous une histoire, qui mettent un personnage dans une situation. Je me suis alors attelée à construire une narration à partir de l’œuvre que j’avais sous les yeux.

Elément intéressant : vous avez modifié votre voix sur chaque nouvelle chanson…
Le but, avec tous ces tableaux, était de m’offrir un rôle de chanteuse sur chaque titre tout en gardant une cohérence. On n’a pas les mêmes sonorités, les mêmes expressivités vocales sur toutes les chansons. Je suis tour à tour une femme contemporaine en plein divorce, une vielle chanteuse de 80 ans au siècle dernier, une Barbie écervelée qui chante dans les clips de R’n’B…

Par exemple, ce dernier personnage, évoqué dans la chanson phénoménale À quatre pattes, se base sur une sculpture d’Allen Jones…
C’est parti de ces femmes-objets-meubles. Allen Jones est un artiste américain, disciple de Warhol, qui a réalisé des sculptures grandeur nature de femmes les seins à l’air, avec des bottes en cuir… Et il y en a une notamment à quatre pattes qui sert de table de salon. Une autre est à genoux et porte les plateaux, une troisième sert de chaise… C’est très drôle !

Vous avez composé pour le cinéma (Requiem for Billy the Kid ), pour la danse avec Decouflé, pour une exposition avec Titouan Lamazou… Vous vous promenez un peu partout !
Selon moi, c’est l’avenir de l’expression musicale. Je me suis véritablement enrichie en goûtant le fruit défendu, en m’aventurant dans d’autres disciplines artistiques. Je suis mon instinct avec les propositions qui viennent à moi, il n’y a rien de calculé. Pourtant, au début, ça m’a plutôt perdu. Mes partenaires professionnels ne suivaient pas beaucoup, parce qu’en France, un chanteur doit faire des chansons, un disque, une promo et une tournée. Et il recommence tous les deux ou trois ans quand ça marche. Ce parcours-là ne m’intéressait pas, je trouvais que j’allais vite me répéter. J’ai préféré accepter ces paris – partir au Japon avec Decouflé par exemple – ce qui m’a donné un goût quasiment incurable pour les projets originaux !

Que pensez-vous de cette vague de chanson française à laquelle on vous associe par défaut ?
Je ne suis pas très excitée par la création française. J’écoute beaucoup de musique anglaise, ou du monde. J’ai du mal avec la chanson dans ma langue, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de créativité, d’audace. Certes, il y a des artistes que je trouve fascinants – Dominique A, Noir Désir, Camille… – mais la plupart des autres sont frileux, ils refont toujours la même chose pour ne pas perdre le public qui n’aime pas être bousculé. Alors qu’un artiste doit prendre des risques, doit défricher…

Vous considérez-vous à la marge en produisant des chansons plus difficiles, moins radiodiffusables ?
Oui, même si ce n’est pas un choix. Je fais vraiment ce qui me plait, et j’ai la chance d’avoir cette liberté, des gens qui me soutiennent financièrement pour tourner. Et il y a un public curieux pour ce genre de musique, je le vois bien en concert…

Justement, pour finir, comment l’univers atypique de Tableau de chasse prend forme sur scène ?
On est cinq musiciens sur le plateau, il y a un grand écran qui montre de la vidéo (notamment quelques œuvres à partir desquelles j’ai travaillé), beaucoup de liberté… C’est plus qu’un concert, c’est très travaillé au niveau de la scénographie.

CLAIRE DITERZI
Vendredi 13 mars à 20h
à la Rampe (Échirolles)

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