20 ans après...

Ben Harper - COMPLET

Summum

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

À peine sorti un album en forme de retour aux sources enregistré avec sa mère Ellen, Ben Harper fête ses 20 ans de carrière avec une tournée solo qui passe par Grenoble. Où l'on retrouvera le Californien avec ses classiques et son inséparable guitare Weissenborn. Et peut-être un peu de ce génie, un brin perdu de vue, qui, il y a 20 ans, sorti de nulle part, nous avait flanqué une claque aussi monumentale qu'inoubliable. Stéphane Duchêne

Nous sommes le 14 avril 1994. C'est la première télé française d'un jeune californien à l'occasion d'un des fameux live du Nulle part ailleurs de la "grande époque". Étrangement, le jeune homme de 24 ans est accompagné du groupe  résident de l'émission de Canal +. Autre particularité : affublé d'un immense sweat-shirt Adidas, d'un pantalon feu de plancher et de tresses de squaw, et pourtant beau comme un Dieu, Ben Harper joue assis d'un drôle d'instrument posé ses genoux. Une Weissenborn, guitare hawaïenne à manche creux inventée par un Allemand, dont on joue avec un tone bar, un accessoire de métal à faire glisser sur les cordes.

Comme habité, Harper chante le regard baissé si bien qu'on se demande un moment s'il n'est pas aveugle. Sentiment d'autant plus fort que celui que vient de nous présenter Antoine de Caunes a quelque chose de Stevie Wonder. Comme il a d'ailleurs quelque chose de Bob Marley, de Ry Cooder, de Robert Johnson, de Taj Mahal, de Jimi Hendrix, de Marvin Gaye... Sauf qu'il a aussi et surtout son truc à lui. Un jeu de guitare époustouflant marié à une voix dont il fait à peu près ce qu'il veut et qu'il doit autant à mère nature qu'à un atavisme certain.

Like a King

D'origine cherokee, afro-américaine et juive lituanienne, Ben Harper, fils de musiciens, a grandi pour ainsi dire entre les murs du Folk Music Center tenu par son grand-père maternel Charles Chase, une sommité de la culture folk et des instruments vintage, où les murs sont littéralement recouverts de centaines de guitares et autres instruments auxquels il est interdit... de ne pas toucher. À neuf ans, Ben est marqué à jamais par un concert de retrouvailles entre Bob Marley et Peter Tosh à Burbank. À douze ans, il donne son premier concert. Quelques années plus tard, lemusicien de blues américain Taj Mahal lui-même l'emmène en tournée. Puis viennent les premier disques.

Comme Breakin' Down, le morceau joué sur le plateau de NPA, son premier album Welcome to the cruel world est un chef-d'œuvre à une époque où le folk-blues n'a guère le vent en poupe en dehors du mouvement alt-country. On y trouve des ballades folk à tomber (Forever, Walk Away) et des titres hantés par le blues et la contestation (comme Like a King, chanson hommage à Rodney King, cet Afro-Américain dont le tabassage par une poignée de flics mettra Los Angeles à feu et à sang en 1992).

Les premiers concerts sont à l'avenant. On se doit ici d'évoquer l'expérience vécue le 20 octobre 1995, lors de ce qui est son deuxième concert lyonnais après un passage éclair un an plus tôt dans le cadre du festival des Inrocks, mais son premier en tête d'affiche, à la sortie de son deuxième disque Fight for your mind. Le lieu paraît aujourd'hui improbable – et a d'ailleurs disparu : le B-52, club lyonnais alors réputé pour ses soirées Factory du dimanche. Pendant ce qui paraît des heures – néanmoins trop courtes – Harper y tient le crachoir, comme en transe, accompagné de musiciens époustouflants, mêlant son répertoire à celui de ses idoles. Les quelques dizaines de spectateurs savent sans doute en quittant les lieux qu'il s'agit d'un de ces moments dont on pourra dire 20 ans après « j'y étais ». Peu importe que le type qu'on vient de voir fasse carrière ou pas.

Or, il se trouve que c'est en France que Ben Harper connaît son plus grand succès – il mettra plus de temps à percer dans son pays. Ses airs de prophète au physique totémique, son discours lisse et consensuel sur l'amour et la paix, le métissage dont il est issu, en font un client idéal pour les médias. De fait, huit ans après ce concert du B-52 devant une poignée de péquin, Harper bourre Bercy trois soirs de suite.

Nomadisme musical

C'est l'époque de Diamonds on the Inside (2003), son plus grand succès, pourtant loin d'être son meilleur disque, tant il est dépourvu de cohérence et de personnalité – la force initiale du musicien. Mais c'est sans doute aussi ce qui fait son succès : ce nomadisme musical extrêmement rassembleur, capable de flirter avec le jazz comme avec Otis Redding, avec Marvin Gaye et Led Zeppelin, avec le blues le plus délicat comme avec le rock FM.

Si l’on n’est pas obligé d’avoir suivi toute la carrière pléthorique et déroutante de la rock star, si l’on a le droit de s’être lassé de quelques-uns de ses tics par trop christiques, de sa tendance à la surenchère – au cynisme, diraient les mauvaises langues –, on peut reconnaître que Ben Harper a souvent su compenser le manque d'inspiration par des collaborations intelligentes comme avec les Blind Boys of Alabama, Dhani Harrison (le fils de George) et Joseph Arthur ou plus récemment l'harmoniciste Charlie Musselwhite – les deux ont triomphé l'an dernier au Théâtre antique de Vienne. À moins qu'il n'ait finit par se perdre à force de se disperser, lui qui était capable de tant avec si peu.

De ce point de vue, l'idée de ce retour à une certaine forme de dénuement, avec sa voix et sa Weissenborn en guise de bite et de couteau pour revisiter son répertoire, est – même si elle n'est sans doute pas dénuée de marketing – fort bienvenue pour un musicien exceptionnel qui nous a un peu perdus en route. Ainsi qu'une belle occasion de nous rappeler une bonne fois pour toute qui est Ben Harper : ce bloc de beauté brute qui nous avait tant bouleversés il y a 20 ans. Et qu'on n'oubliera jamais.

Ben Harper, jeud 15 mai à 20h, au Summum

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