Serpico

Reprise à l’Institut Lumière d’un classique du cinéma politique des années 70, où le tandem Lumet-Pacino fait trembler les murs de l’institution policière. Christophe Chabert

Comme quantité de films américains des années 70, Serpico commence par sa fin, désespérée. Une balle en pleine poire, le flic incarné par Al Pacino est transporté d’urgence à l’hôpital. Flingué par les siens, Frank Serpico paie donc cher son héroïsme et sa lutte contre la corruption au sein de la police new-yorkaise. Car, flash-back, le barbu hirsute pissant le sang à l’arrière d’une voiture était, quelques mois auparavant, un jeune policier idéaliste découvrant, en l’espace de quelques séquences, les mœurs de ses collègues : menus à l’œil au restaurant du coin, interrogatoires musclés et arbitraires, pesanteurs bureaucratiques et hiérarchiques…

Laissant son uniforme, Serpico décide de devenir un flic infiltré, opérant dans la rue et en civil, pensant ainsi passer outre la lourdeur du système. Or, ce qu’il découvre, c’est que celui-ci est gangrené à tous les étages, que les trafics ne se font pas dans le dos de la police mais en son sein, du simple grouillot jusqu’au plus gros ponte.

Al contre les ripoux

Film crucial, Serpico est le premier volet d’un triptyque passionnant consacré par son réalisateur, Sidney Lumet, à la corruption étatique qui sape les fondements même de la démocratie. Il y reviendra dans le grandiose Prince de New York et, plus tardivement mais toujours avec le même brio, dans l’efficace Contre-enquête (rien à voir avec la purge jouée par Jean Dujardin !). Pour Lumet, la démocratie cultive le ver qui la ronge de l’intérieur : la lutte contre le crime finit par engendrer de la criminalité, celle-ci se déplaçant après chaque attaque un peu plus au cœur du système.

Dans Serpico, le film peut-être le plus «positif» de sa trilogie, le héros a encore une possibilité d’endiguer cette spirale infernale : s’extirper de son costume et redevenir monsieur tout le monde. C’est là qu’Al Pacino entre en jeu : son jeu naturel se fracasse d’abord sur les attitudes théâtrales des vieux de la vieille qu’il rencontre au commissariat. À l’inverse, des bourgeois mondains et cultivés lui refusent d’entrer dans leur cercle parce qu’il est flic (donc un peu con, selon leur logique élitiste). C’est donc dans la rue que Serpico-Pacino va se trouver une identité et se construire un personnage : barbu, affublé de longs manteaux en cuir gris et d’un bonnet tricoté à la maison, il fait se rejoindre tous les extrêmes et invente une forme de clodo classe, un bloc de virilité parcouru de tics féminins, un corps à la fois lourd et incroyablement gracieux.

C’est autant l’acteur que le rôle qui bouscule ainsi un monde figé dans les clichés et les pratiques blâmables ; Serpico raconte ainsi l’émergence de ce héros tragique et, c’est le plus important, absolument intemporel.

Serpico
De Sidney Lumet (1973, ÉU, 2h10) avec Al Pacino, John Randolph… À l’Institut Lumière du 21 au 24 mars

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