Bande de filles

Céline Sciamma suit l’ascension d’une jeune black de banlieue qui préfère se battre plutôt que d’accepter le chemin que l’on a tracé pour elle. Ou comment créer une héroïne d’aujourd’hui dans un film qui se défie du naturalisme et impose son style et son énergie. Christophe Chabert

Au ralenti et sur la musique (électro-rock) de Para One, des filles disputent la nuit une partie de football américain. Virilité et féminité fondues dans une parenthèse sportive au milieu de la vie monotone d’une cité ; Céline Sciamma marque dès l’entame de Bande de filles son territoire, loin des sentiers étroits du naturalisme propre au banlieue-film hexagonal. Pas question de sombrer dans le misérabilisme social ou le cinéma à thèse, mais au contraire de le déborder par l’action et la rêverie.

De fait, chaque fois que Merieme, adolescente black de seize ans, verra cette réalité-là lui barrer la route — conseiller scolaire cherchant à l’orienter vers une filière pro, grand frère veillant depuis son canapé sur sa moralité, amoureux maladroit, filles du quartier résignées à n’être que des mères au foyer — elle cherchera à la renverser de toutes ses forces, préférant combattre et s’échapper plutôt que de courber l’échine. Le film enregistre cette volonté farouche comme une constante création d’énergie, révélant dans un même mouvement une inoubliable héroïne de fiction et la comédienne qui lui donne corps — la formidable Karidja Touré.

Girl power

Une échappatoire : c’est ce qu’offre à Merieme une bande de filles qu’elle rencontre sur un banc à la sortie du lycée. Ensemble, elles vont faire les 400 coups, insultant une bande rivale sur un quai de métro, allant traîner aux Halles pour piquer des fringues ou s’enfermant dans une chambre d’hôtel pour picoler jusqu’à entamer une stupéfiante reprise de Diamonds de Rihanna. Cette dernière scène est grisante au point de filer des frissons, la liberté s’exprimant comme une version pop et joyeuse d’un girl power reconquis.

C’est le même genre d’émotions qui surgit lorsque Merieme décide de se lancer dans des combats de rue au féminin, dont le trophée est d’arracher le soutien-gorge de l’adversaire — virilité / féminité, encore. Sciamma choisit certes dans un dernier acte un peu moins convaincant de teinter ce triomphe d’une pointe d’inquiétude puisque Merieme risque de perdre tout ce qu’elle avait chèrement décroché ; mais, même à terre, son héroïne trouve encore la force pour se relever et repartir. C’est le meilleur résumé de ce film impressionnant, stylisé et punchy, féministe et lucide.

Bande de filles
De Céline Sciamma (Fr, 1h52) avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh…
Sortie le 22 octobre

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