Une identité à définir

Dulce Pinzòn et Yann Delacour

Le Bleu du Ciel

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Porter le regard sur ce qu’on ne voit même plus, telle est la démarche des photographes Dulce Pinzòn et Yann Delacour, exposés jusqu'au 13 juillet à la galerie Le Bleu du Ciel, mais dans des registres sensiblement différents. Tous deux cependant interrogent l’identité : identité individuelle et collective, mais aussi identité plastique. Charline Corubolo

Dulce Pinzòn est mexicaine, Yann Delacour est français. Les deux sont photographes. Elle porte un regard journalistique sur les travailleurs immigrés au travers d'une mise en scène fictionnelle, tandis qu’il engage une réflexion sur son statut de plasticien autant que sur celui de l’œuvre, ouvrant sa photographie au genre documentaire.

Une permutation des genres s’opère ainsi entre les deux univers, mais l’identité et la mise en lumière d’évènements quotidiens constituent le fil d’Ariane de l'exposition que leur consacre la galerie Le Bleu du Ciel.

Des Bruce Wayne sans le Wayne

Redonner toute sa valeur au laborieux travail des latino-américains installés à New-York, telle est l’ambition de Dulce Pinzòn. De 2004 à 2006, elle a suivi le quotidien de ces expatriés pour aboutir à une série de dix-neuf clichés, sous-titrée La Véritable histoire des super-héros.

Les photographies dévoilent des lieux de travail dans lesquels sont injectés avec humour des personnages issus des comics. Souvent seuls, parfois en duo, ils ne sont autre que ces immigrés, déguisés pour l'occasion. À travers une lumière tranchée, l’artiste prend soin de placer le travailleur dans le losange de référence de l’image, en vue de porter toute l’attention sur ce dernier.

C’est cependant la légende qui donne tout leur sens aux photographies. Le cartouche révèle le nom, la ville natale ainsi que le travail de la personne, mais surtout la somme d’argent envoyée par cette dernière à sa famille ou à sa communauté, l’immigrant-héros apparaissant dès lors comme un travailleur de l’ombre.

Loin de délivrer un discours misérabiliste, Pinzòn cherche à documenter la situation. Les costumes sont grossiers, ne servant qu’à convoquer l’icône. C'est le dévouement des sujets qui est mis en exergue et le sacrifice de chacun semble énorme. Mais les emplois évoqués ont beau parfois être durs et pénibles, la composition est telle que toute victimisation est enrayée. Que ça soit Robin le gigolo ou The Thing le manutentionnaire, aucun ne regarde l’objectif. Le super-héros est concentré sur sa tâche, au contraire des seconds rôles qui, pour certains, regardent le spectateur, comme pour signifier qu’ils sont témoins d’un acte de bravoure.

Une double dépendance est toutefois pointée du doigt dans cette série : celle des communautés sud-américaines, vivant en grande partie grâce au système financier mis en place par les États-Unis, et celle des dits États-Unis, dépendant de cette main-d’œuvre bon marché.

L’homme à la tête de glaise

Ce personnel oublié est aussi un axe de travail de Yann Delacour. Le long de quatre séries, dont trois inédites, l’artiste prolonge d'un côté un questionnement sur l’identité entamé il y a déjà plusieurs années, et conduit de l'autre une réflexion sur la valeur intrinsèque d'une œuvre. Dans les deux cas, sa démarche passe d’abord par le corps.

L’enveloppe charnelle est en effet au centre de la série intitulée Sans titre,  réalisée entre 2007 et 2011. L’artiste s’y intéresse à des agents d’accueil de lieux aussi variés qu'un hôpital ou un zoo. Prises sur le vif et en extérieur, les photographies montrent des personnes enfermées dans leur espace de travail, de dos. Le visage fuyant, on ne peut identifier leur sujet : un recadrage spécifique diminue la personne, masque son identité et renvoie le spectateur à sa propre relation à l’autre. La composition et la lumière amplifient ensuite cet éclairage de l'individualisme croissant de la société.

La relation intérieure – extérieure développée dans ces portraits se retrouve dans une seconde série. En quatre-vingt photographies, Yann Delacour y joue sur un espace extérieur dans lequel l’autre, ou lui-même, se crée un espace "fermé". Durant quatre ans, le photographe a ainsi pris des clichés de «sculptures éphémères» : dans les rues de Paris, un plot de signalisation posé sur le bord d'un trottoir pour réserver une place devient autant un geste personnel qu’un geste artistique.

Delacour interroge par ce dispositif le statut de l’œuvre et lie une photographie plasticienne à une approche documentaire. Ce double enjeu est poussé encore plus loin avec les deux séries d’autoportraits, elles aussi Sans titre (2000 et 2013). La plus récente montre le plasticien la tête recouverte de glaise, dans des clichés où il tend plus à démodeler qu’à modeler son identité de créateur. Le noir et blanc des tirages convoque le dessin, et crée de fait un recoupement entre les deux pratiques. L’identité s'en retrouve en perpétuel déplacement.

Une dernière confirmation que c'est avant tout sur ce qui nous échappe que Pinzòn et Delacour tendent à recentrer le regard.

Super-héros et En déplacement
À la galerie Le Bleu du Ciel, jusqu’au samedi 13 juillet

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