Les nuits fauves d'Acid Arab

Acid Arab + Moi Je + HT all star & MLSN

Le Petit Salon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Leur nom claque comme un slogan. Leur musique est abrasive comme… de l’acide, oui. Acid Arab incarne ce pays tel qu’on l’aime : multiple et singulier, fureteur et se foutant des conventions pour inventer - en l’occurrence un nouveau son. Hervé Carvalho, co-fondateur du groupe avec Guido Cesarsky, nous explique ça par téléphone avant leur venue au Petit Salon.

Acid Arab aurait pu naître dans un autre endroit que le quartier métissé et populaire où vous vivez à Paris ?
Hervé Carvalho : Ça aurait pu naître ailleurs. Guido vit là-bas, dans le 10ème arrondissement de Paris. Mais Acid Arab, ce n'est pas la musique d’un quartier, c’est la musique de France, telle que nous voyons ce pays. Ce n’est pas juste une histoire de métissage, c’est la France actuelle - même si des gens refusent de la voir ainsi. Guido c’est beaucoup intéressé à ce quartier, il a bossé avec les patrons d’un bar kabyle, Les 9 Billards. Je viens d'une zone de brassage culturel, le Sud de la France : je suis fils d'immigrés portugais et j'ai grandi avec des Pieds-noirs, des Arabes, des mecs de l'Est... Comme tout le monde, j'ai écouté du raï commercial dans les années 90.

Le projet débute dans un festival en Tunisie, Pop in Djerba : comment s’est passé cette "révélation" ayant mené à la création d'Acid Arab ?
On est parti mixer avec Guido sur ce festival à Djerba, grâce à notre soirée Chez Moune : on jouait acid et disco, mais sur cette date on a préparé un set pour l’occasion, avec des morceaux du Maghreb et des edits turcs assez dingues que peut faire Baris K.

Mais c’est le voyage qui a fait Acid Arab, pas le festival. On s’est rendu compte qu'il était fait par des fils de riches, pas très connecté à la population. En cherchant des disques, on a rencontré plein de gens. Dont un musicologue de Djerba, Sidi Gouja, avec qui nous avons passé la journée à écouter des disques, il nous a accueilli chez lui. Il s’est donné pour mission d’écrire un solfège arabe. Mais quand il venait nous voir à l’hôtel, il fallait que je descende l’accueillir à l’entrée : il n’avait pas le droit de monter seul. On s’est fait des potes pendant une semaine démente sans dormir : le mois dernier j’étais encore chez l’un d’eux pour manger le couscous. On a kiffé, c’est dans ce sens la "révélation", pas dans le sens mystique. Une aventure humaine extraordinaire : quand on est rentrés, on ne voulait plus faire la même musique qu’avant.

Votre premier disque est une compilation, pas un album au sens propre.
Ce n’est pas vraiment une compilation, car ce sont des commandes de morceaux. Quand on est rentrés de Djerba, on a monté un groupe Facebook pour partager nos découvertes musicales, pour exister sur Internet. Et plein de gens que l’on aime ont posté des morceaux, soit qu’ils avaient fait eux, soit des vieux titres qu’ils aimaient bien. Des mecs comme Krikor, Joakim ou Gilb’r - qui a posté un vieux titre à lui enregistré avec son fils. On lui a demandé s’il voulait nous le filer pour une compilation sur le net, on voulait figer ce qui se passait. Gilb’r nous a proposé de le faire sérieusement, de sortir le disque sur son label Versatile. On a commandé des morceaux à I.Cube, Étienne Jaumet, Dimmit… Et Legowelt, c’est dans un mix à lui pour une soirée Versatile que l’on a entendu pour la première fois le Tanki Tanki qui est devenu l'un de nos tubes.

Acid Arab est maintenant devenu un live : comment s’est opéré ce passage à la formule groupe ?
Le projet est né à deux, c'était un truc de DJ. Quand ça a commencé à prendre, avec les édits, les soirées, j’ai appelé mon pote Pierrot en lui proposant de composer un morceau pour le jouer le soir : c’est devenu le Theme de Acid Arab, qui a tourné partout, sur Radio Nova et nous a fait connaître. Pierrot Casanova et Nicolas Borne, nos potes, nous on ouvert les portes de leur studio. L’important, c’est la spontanéité : on va chez eux, on cherche, il faut ce truc qui te prend d’un coup. On enregistre de longues phases avec les musiciens et on s’en sert ensuite comme matériau : on n'est pas trop sample. Il y a beaucoup d’instinct dans ce que l’on fait.
J’avais déjà un live techno avant, avec le guitariste de Poni Hoax. C’était évident que l’on voulait un live Acid Arab, techno dans l’énergie, avec un clavier oriental. Je connaissais certains musiciens de Rachid Taha, qui m’ont présenté Kenzi qui jouait avec eux. En une après-midi, on a arrangé cinq morceaux avec lui : c’est un génie de l’arrangement oriental. C’est devenu évident que c’était lui, il a bossé avec DJ Sem, s’adapte à tout, il a compris notre musique et c’était pourtant pas évident au début : il fallait se caler sur nos motifs de répétition, ne pas être trop bavard. Il a amené son jeu, l’a technoïsé. Il n’y a pas plus attachant que lui.
Certains fantasment d’une collaboration avec plein de musiciens, ça pourrait être super mais… ça nous fait flipper. On ne veut pas tomber dans la fusion, refaire un Buddha Bar. Nous, on veut un son percutant de live techno, c’est un parti pris. On est pas dans l’orientalisme. Certains nous proposent des danseuses orientales…
Notre angle d’attaque, c'est ruff, dur, ghetto. Ce n’est pas de la musique pour cérémonie de mariage. Et en étant français, nous ne devons surtout pas nous grimer, nous déguiser, faire semblant. Nous jouons Fairuz et DJ Pierre de la même manière, nous n’utilisons pas l’Orient comme un vernis. Ce n’est pas de l’exotisme hédoniste pour petit-bourgeois.

En septembre dernier, sortait votre premier maxi 100% original, Djazirat El Maghreb.
C’est un hommage au Maghreb : un morceau pour le Maroc, sur un rythme berbère en ternaire. Un second pour l’Algérie, avec Kenzi, un peu disco lourd. Et un troisième pour la Tunisie, là où souffle un nouvel espoir pour la jeunesse Arabe.

Votre démarche musicale, votre nom, la revendication de l’hédonisme et du métissage : vous êtes dans une démarche finalement très politique par les temps qui courent, à contre courant total des messages diffusés par l’une ou l’autre extrême ?
Nous sommes Blancs. Un Juif, un Portugais. Et un Rebeu. On s’appelle Acid et Arab, en France. Ce n’est pas de la provocation, mais c’est un mot qui est encore difficile à prononcer pour certains, Arabe. Il y a évidemment une dimension politique à tout ça, mais nous, on fait de la musique. On montre autre chose du monde Arabe que ce que l’on voit ou entend habituellement. Je ne suis pas Bernard-Henri Lévy, j’aime voyager et rencontrer les gens pour apprendre, ne pas rester dans ma tour d’ivoire. Pas pour donner mon point de vue.

Ce métissage des dancefloors, l’arrivée de l’hémisphère Sud sur les festivals de musiques électroniques, de Mehmet Aslan à l’électro chaabi en passant par l’Afrique du Sud : comment voyez-vous cette évolution ?
Ça a toujours plus ou moins existé, avec Africanism ou la grande vague de house tropicale il y a dix ans. Mais ces changements de fou en ce moment, c’est génial et pas seulement en musique. Je pense au cinéma iranien par exemple. Après, il y a des bons et des mauvais côtés : voir Omar Souleyman jouer dans un festival où il n’y a que des Blancs qui dansent bizarrement, pas d’Arabes, ça peut être critiqué… Ça peut être tout et n’importe quoi, c’est vrai, mais c’est intéressant.

Quels sont vos liens avec la scène arabe contemporaine ?
On enregistre avec le clavier de Omar Souleyman, Rizad Saïd, en ce moment. On va faire deux ou trois morceaux avec lui : il adore notre approche. Nous sommes comme les anglais qui se sont mis à faire de l’acid house américaine à leur sauce : nous, c’est la même chose avec le dabke de Syrie. On est respectueux. On a un truc hyper bouillant là ! Sofiane Saïdi, qui est un peu le renouveau du rai à Paris, va être sur le disque, avec un musicien de Global Gnawa aussi.
Au Caire, on a bossé avec des rappeurs : on est les premiers français à avoir signé sur ce label de musiques urbaines, 100Copies. Notre morceau Hez Hez est un mini tube, les mecs allument des fumigènes quand ça passe en soirée… C’est assez drôle d’avoir mis le pied là-bas.
Notre allbum va sortir sur le label belge Crammed dans l’année : il y aura aussi A-Wa dessus.

Vous réconciliez deux publics qui se côtoyaient peu ces derniers années : clubbers et amateurs de musiques du monde : une fierté pour vous qui prônez depuis toujours dans vos fêtes l’absence de chapelles et de préjugés ?
C’est pas gagné à chaque fois, mais j’ai vécu des moments assez mythiques à titre personnel, comme une soirée il y a quelques mois à Glazart. Tous nos potes sur scène, Gilb’R, Rachid Taha en concert, Habibi Funk… Des familles étaient là pour voir Rachid, des hipsters parisiens, des gouines… Voir mon pote pédé danser à côté d’une femme voilée et d’un groupe de fêtards sous MDMA, de manière aussi naturelle et amicale : c’était génial. Une grande fierté, c’était tellement émouvant de voir que ça pouvait se passer si bien.

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