Le rébétiko et ses frontières poreuses à l'Opéra underground
Festival / L'Amphi de l'Opéra s'ouvre durant trois jours aux frictions, dérives et métamorphoses qui ont façonné le rébétiko et les musiques issues de l'ancien Empire ottoman.
Photo : Evgenios Voulgaris ©DR
Un festival, pensé comme une suite de divagations, embrasse l'idée que ces musiques ne se laissent jamais saisir d'un seul geste. Modes ottomans, maqâms, danses d'exilés, complaintes portuaires : tout circule, se métisse, se contredit. Le rébétiko, né dans les failles de l'histoire entre fumeries, arrière-cours et expulsions massives, est inscrit depuis 2017 au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Une musique aux sonorités empruntant largement à l'Asie mineure et aux îles grecques, qui n'est plus seulement une tradition, mais une chambre d'échos où défaites politiques, amours fatiguées et déracinements se condensent en une intensité presque physique.
Ce langage modal est interrogé par le festival non comme un héritage sacralisé, mais comme un organisme mouvant. Au fil des concerts, masterclasses et conférences, l'Opéra underground semble indiquer une possible trajectoire, montrant que ces répertoires ont toujours été animés par une tension fondamentale : dire l'indicible, laisser filtrer le trouble, faire surgir une émotion réfractaire aux lignes droites de l'Histoire.
Deux concerts comme deux foyers de combustion
Premier épicentre de cette tension, le concert d'Evgenios Voulgaris est l'occasion pour approcher l'univers du rébétiko à travers l'œuvre d'un maître du tambour yaylı et du oud, pédagogue incontesté. Sa manière d'ouvrir les modes, de les laisser se déployer jusqu'à frôler l'hallucination, rappelle combien la musique modale est un art de la respiration : un espace où la mélodie vit, dérive, recommence. Musicien en mesure de faire vibrer chaque note comme si elle portait en elle des siècles de routes et de frontières poreuses, Voulgaris joue la mémoire comme un fil tendu.
L'autre moment fort est incarné par Allegoria et le Quintet Bumbac, deux formations qui travaillent les marges et les intensités, là où le rythme devient secousse, appel, fièvre. Allegoria tisse un rébétiko élargi, irradiant de sophistication, tandis que le quintet extirpe des strates balkaniques une puissance presque viscérale.
À travers ces moments, le festival ne se contente pas d'honorer une tradition : il la replonge dans le flux, dans l'incertitude, dans la richesse de ses tensions, afin de tordre le temps et de faire vibrer Lyon comme un ancien carrefour méditerranéen.
Divagations ottomanes
Du 16 au 18 décembre 2025 à l'Amphi de l'Opéra (Lyon 1er) ; de 0 à 19€

