"Les Vigilantes" de Léane Alestra : pourquoi des femmes choisissent-elles l'extrême droite ?

Jeudi 19 juin 2025

Essai / Dark agency, fémonationalisme : des mots savants que l'on retrouve dans le dernier ouvrage de Léane Alestra "Les Vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l'extrême droite". Une lecture qui met en perspective l'actuelle tentative de réappropriation du féminisme par l'extrême droite mais aussi, plus largement, la fabrique des nationalismes sexuels en France.

Photo : Léane Alestra ©Marie Rouge

« Je prends soin de mon mari, devenir maman est ma destinée », « Pendant que mon mari s'occupe du monde dehors, je prends soin du foyer », « Je suis si reconnaissante d'être une femme mariée. Ma règle numéro un : prendre soin de mon apparence pour que mon mari me trouve attirante » : autant de vidéos (lucratives) disponibles sur Youtube ou Tiktok dont le nombre semble perpétuellement augmenter depuis quelques années. Souvent inspirées de l'esthétique des "tradwives" (traduction : des femmes traditionnelles) des années 50 aux États-Unis, des jeunes femmes françaises plébiscitent un retour à un mode de vie qu'on aurait pu croire oublié, vantant l'abandon de leur indépendance (financière, mais aussi de mouvement ou de pensée) au profit d'une dévotion totale à leur vie de famille. Certaines y accolent plus ou moins subtilement un discours raciste, queerophobe et... misogyne. La tendance a de quoi surprendre, tant elle peut paraître paradoxale, relever du "contre son camp" et de la mise en danger de soi-même.

C'est en partie cette interrogation qui a lancé le travail minutieux de la chercheuse en études de genre et journaliste politique Léane Alestra. Elle a publié Les Vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l'extrême droite aux éditions JC Lattès. Un deuxième ouvrage gravitant autour des questions de genre, dans la lignée de son premier essai décapant, Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ? interrogeant l'injonction à la virilité et à l'hétérosexualité chez les hommes. Celui-ci était très référencé, parfois drôle ; cependant le ton de sa nouvelle parution est plus sérieux, se rapprochant d'un écrit universitaire. Elle y manie sans prétention (et sans érudition superflue) des concepts peu mobilisés, notamment celui de la sociologue Sarah Erfaris : le fémonationalisme ou « l'utilisation du féminisme à des fins sécuritaires, nationalistes, réactionnaires et surtout racistes ». Elle analyse les techniques mises en place par l'extrême droite pour amadouer l'électorat féminin, passant entre autres par l'instrumentalisation du harcèlement de rue.

Les Vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l'extrême droite (aux éditions JC Lattès) ; 14, 99 €

Le produit de nos sociétés occidentales

Citant le travail de Frantz Fanon, Léane Alestra défend que ces nationalismes sexuels occidentaux ne sont pas apparus de façon exogène, mais qu'ils représentent la partie émergée d'un héritage encore vivace, émergeant de l'ère coloniale, où "contrôle" était le maître mot. Contrôle sur les normes sexuelles et contrôle sur la gestion raciale des populations toutes deux soumises à des injonctions productivistes, rapidement enduit - pour le cas du couple hétérosexuel - du vernis de l'amour romantique.

Pour analyser la multiplication des femmes qui vantent les mérites d'un modèle qui ne leur veut pas du bien, Léane Alestra reprend le concept d'agentivité, ou agency, formalisé par le sociologue Anthony Giddens en 1980, et élabore celui de dark agency. Certaines femmes privilégiées compensent leur genre pourtant dévalué par la promotion du modèle dominant, se négociant ainsi une place de choix en haut de la pyramide des exclu(e)s. Un concept intéressant, qui ne s'applique pas uniquement aux ambassadrices de l'extrême droite, et qui rappelle que non seulement les femmes ont un pouvoir d'action, mais aussi qu'elles peuvent l'utiliser aux dépens des autres femmes et de toutes les minorités. Et cela, tout en s'appropriant avec désinvolture certaines théories, figures ou codes féministes. Solidarité, quand tu nous tiens.

Les Vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l'extrême droite (aux éditions JC Lattès) ; 14, 99 €
Rencontre avec Léane Alestra le 25 juin à 19h15 à la Librairie à soi.e (Lyon 1er) ; gratuit sur réservation

Léane Alestra

Pour son livre Les vigilantes : Surveillées et surveillantes, ces femmes au cœur de l’extrême droite. Alors qu’à travers le monde, l’extrême droite s’attaque aux droits des femmes, celles-ci sont de plus en plus nombreuses à adhérer aux idéologies réactionnaires. De Giorgia Meloni à Marine Le Pen, jusqu'aux influenceuses tradwives, cet essai vise à comprendre pourquoi des femmes choisissent de soutenir des politiques allant à l’encontre de leurs intérêts.