Pour Emmaüs, « les vêtements sont de plus en plus difficiles à recycler »

Publié Mercredi 19 novembre 2025

Solidarité / Pionnière du recyclage et de l'upcycling, la communauté Emmaüs de Lyon est témoin des changements de pratiques des consommateurs du territoire. Ainsi, elle réceptionne de plus en plus de vêtements de mauvaise facture, issus des plateformes chinoises de fast-fashion.

Photo : ©LS/LePetitBulletin

« Il y a quatre ans, on pouvait réemployer 60% des tonnages de vêtements, linges... qu'on recevait. Aujourd'hui, on dépasse difficilement les 40% », témoigne Pierre Emmanuel Fanello, directeur de la communauté Emmaüs de Lyon. En ce jeudi, le "siège" de la communauté lyonnaise n'accueille pas de public et se consacre au tri, à la réparation et à la mise sur étals dans ses immenses locaux situés à Parilly. Des conteneurs débordant de linges, tissus et objets divers sont réceptionnés sur le site pour être triés par certains des compagnons de la communauté : « Année après année, les tissus qu'on reçoit sont de bien moins bonne qualité, on doit faire de plus grands efforts de tri, et surtout, de nombreuses matières ne sont même pas recyclables », déclare le directeur, qui poursuit : « avec un tee-shirt 100% coton déchiré, on peut faire de l'isolant, alors qu'un tee-shirt multimatières de marques comme Temu, Shein, ça ne peut aller qu'à l'incinération ». Une situation qui entre en résonance avec l'actualité nationale : alors que la plateforme chinoise Shein vient d'ouvrir ses premiers magasins physiques en France - sous le feu de nombreuses critiques - elle fait face à l'éventualité d'une suspension d'activité par le gouvernement français. Outre la préoccupation environnementale, les conditions de travail inhumaines et l'absence totale de régulation des articles proposés à la vente sont pointées du doigt.

Marcel Bour, président d'Emmaüs Lyon ©LS/LePetitBulletin

« Beaucoup ont gardé le réflexe du don »

« Ce qui est fou, c'est qu'en plus, ces magasins en ligne proposent des prix qui sont pour nous des "prix Emmaüs" », s'étonne le président d'Emmaüs Lyon, Marcel Bour. Alors qu'il déambule dans les rayonnages soigneusement organisés de l'institution, on découvre effectivement les prix que l'association pratique depuis de nombreuses années : 1€ le tee-shirt, 2€ le pantalon léger, 3€ la boîte de jeux Lego qu'on croirait presque neuve, « on garde les jeux pour enfants en état quasi neuf pour la période de Noël », détaille-t-il.

En dépit du souci de baisse de qualité générale des articles donnés à Emmaüs, l'association continue tout de même de réceptionner des objets de bonne facture. « Même avec l'essor de plateformes de revente en ligne comme Vinted, beaucoup ont gardé le réflexe du don », témoigne-t-il. De même, la clientèle serait restée inchangée au cours des années, en dépit du scandale d'agressions sexuelles qui a éclaboussé son fondateur, l'Abbé Pierre. « Tout le monde avait bien compris que le projet avait dépassé son fondateur depuis bien longtemps », déclare Marcel Bour, qui concède que les révélations ont pu ébranler certains des bénévoles de l'association. Au-delà de ces quelques difficultés contextuelles, le président, estime que la communauté de Lyon est chanceuse, qu'elle se porte bien. Il s'agit d'une des plus importantes des 120 communautés françaises, avec pas moins de 90 compagnons, des hommes et des femmes précaires, issu·es de parcours difficiles, de situations d'exclusion sociale ; « Les communautés rurales sont parfois moins dynamiques que nous, quant aux associations qui œuvrent dans le champ du social et du solidaire, bon nombre d'entre elles font face à des baisses de subventions drastiques... Nous, nous sommes indépendants économiquement ». Pas d'épée de Damoclès au-dessus de la tête donc. Cela permet à l'association de se projeter dans l'avenir. Par exemple, les deux immeubles dans lesquels les compagnons sont hébergés au site de Parilly sont en travaux de rénovation. « On aimerait aussi être un peu plus visibles sur le web », déclare le président qui rappelle l'usage croissant du site de vente en ligne Label Emmaüs : « il faut qu'on reste présents dans l'esprit des nouvelles générations », conclut-il.