La Douleur

Publié Vendredi 9 janvier 2009


Complet. Ce billet d'humeur ne servira à rien: « La Douleur », texte de Marguerite Duras, joué par Dominique Blanc et mis en scène par Patrice Chéreau est un tel succès que plus une place ne reste disponible pour les représentations des 23 et 24 février au Théâtre de la Croix Rousse.
Il me faut pourtant en parler. Il le faut. Ce soir là à Villefranche-sur-Saône, à 45 minutes de Lyon, au terme d'une route sans fin traversant la moindre parcelle de vie organisée, Blanc jouait Duras. La claque fut terrible. Il me faut en parler.
Le texte, d'abord. L'écriture de Marguerite Duras emprunte sa matière à ses obsessions, à ses traumatismes, à sa propre mémoire. Dans ses carnets, elle raconte la Guerre, la Résistance, la Libération. Surtout, elle raconte l'attente. Marguerite D. attend Robert L. Elle l'attend de toutes ses forces, de tout son être, de tout l'amour qu'elle lui porte. Robert L. a été déporté, il est à Dachau. En reviendra-t-il un jour? Elle est fatiguée. « Mourir, ce n'est pas le rejoindre, c'est arrêter d'attendre ».
Chaque jour, Marguerite se poste devant le téléphone. Un an durant, elle attend ainsi. Lorsqu'il sonne enfin, un certain Morland est au bout de la ligne. François Mitterrand, de son vrai nom. Il lui dit que Robert L. est vivant. Mais plus pour longtemps. Qu'il faut faire vite. Le déporté est mené à Paris. Duras ne reconnaît pas ce corps décharné, ces membres, ces yeux, cet homme qu'elle a tant aimé. Il lui fait peur. Lorsqu'elle l'apprivoise enfin, elle met toute l'énergie et l'amour qu'il lui reste à le soigner, à le protéger, à le chérir. Jusqu'au jour où il reprendra vraiment vie: « J'ai faim ».
Ce que l'on retient, c'est la lucidité de Duras. Son analyse de la situation française et européenne, notamment. Car ce qui fonde l'unité et l'identité européenne sera désormais la participation à cette guerre atroce et l'extermination de six millions de juifs. Le Vieux Continent a failli. Elle voit clair, aussi, dans le jeu de la droite, « qui ne reconnaîtra que la résistance gaulliste » et enverra toutes les autres au rang des oubliées de l'Histoire.
Ce qui frappe, enfin, c'est l'universalité de ce texte: les hommes au front, les femmes qui attendent, le diptyque courage/lâcheté (car on est toujours le lâche d'un autre...), et même la merde, c'est merde inhumaine et verte qui s'échappe du corps de Robert L.
Pendant une heure et demie, Dominique Blanc est Duras. Ce n'est plus une comédienne, c'est la voix, la plume du journal. On ne se souvient plus de ses gestes, de son corps, mais seulement de ses mots, de son esprit, de sa douleur. Dominique Blanc est tout en souffle, en respiration, en silence. Sa voix, comme l'écriture de Duras, est tremblante, gorgée de fatigue, d'hystérie, de colère. Et il lui faudra bien deux bis pour qu'elle sorte enfin de ce corps qui n'est pas le sien, qu'elle se réapproprie l'espace et le temps de cette salle de théâtre. Pour découvrir ébahie un public debout.
« La Douleur » rejoue les 09 et 10 avril, toujours au Théâtre de la Croix Rousse. Un conseil: cette fois-ci, réservez.