Fini, le casse-tête chinois

Publié Vendredi 23 janvier 2009

Il fut un temps où j'habitais Toulouse. La Ville Rose. Je buvais des coups place St-Pierre, je faisais des manifs place du Capitole, je profitais du jardin japonais, de l'animation de la rue Pargaminière, et accessoirement des activités (parfois intellectuelles) du campus. Mais je n'allais pas souvent au théâtre. J'étais assez hermétique à la danse contemporaine, au théâtre, à tout ce qui me paraissait austère et que les institutions culturelles toulousaines ne parvenaient pas à rendre « in ».

Mais j'ai tout de même un souvenir du TNT (Théâtre National de Toulouse). Plus particulièrement, d'Aurélien Bory au TNT. En fait non, c'est faux; je n'ai pas particulièrement mémorisé son nom. Je me souviens de « Plan B ».

A l'époque, je découvrais le cirque. Traumatisée comme beaucoup par Pinder et Cie, le cirque n'évoquait pour moi qu'une succession de numéros dénués de sens, des clowns pathétiques, des tours de magie ratés, des défilés de chevaux déprimants, des contorsionnistes chinoises complètement barées à qui il manque douze côtes.

Avec la Compagnie 111, ce soir-là au TNT, j'ai découvert le cirque « contemporain ». Entendez, un cirque qui raconte une histoire. « Plan B » s'inscrivait au milieu d'une trilogie dédiée à l'espace. Le Toulousain Bory et ses petits amis y décortiquaient l'évolution du corps dans un espace donné, à travers toute une réflexion sur le plan (vertical, horizontal et oblique) et sur les lois de la physique. Car il a beau être le plus fort, le plus entraîné et le plus têtu, l'acrobate retombe toujours sur ses pieds, et la balle de jonglage s'écrase toujours au sol: c'est la loi de la gravité. Voici la leçon à laquelle nous invitait la Cie 111, à grands renforts de situations hypnotiques et drolatiques. Car oui, le cirque, ça peut être vraiment drôle. Vraiment touchant, aussi.

Je l'ai appris plus tard, mais la trilogie complète était composée de « IJK », « Plan B » donc, et « Plus ou moins l'infini ». Après, Aurélien Bory a créé « Taoub » avec des acrobates marocains, et « Les septs planches de la ruse » avec des artistes chinois de l'Opéra de Pékin.

Aujourd'hui je vis à Lyon. Je ne sais pour quelle raison, tout ici me paraît plus facile en matière culturelle. J'assiste toujours à de nombreux concerts, mais j'ai aussi pris l'habitude d'aller au théâtre; à présent je m'y sens bien. Volontarisme politique, importance des services dédiés aux publics et à la communication, effervescence et profusion de l'offre, j'ignore précisément ce qui marche à Lyon, mais... ça marche.

Alors quand j'ai appris qu'Aurélien Bory investissait la Maison de la Danse pour cinq jours de représentation, je n'ai pas attendu pour réserver. Et « Les Septs Planches de la ruse » ne m'ont pas déçues. Dans un univers plus onirique que jamais, Aurélien Bory dirige des artistes chinois formé à l'Opéra de Pékin: preuve de talent et de professionnalisme s'il en est. Il part d'un simple jeu, le Tangram, ce petit jeu de bois constitué de sept pièces, cinq triangles de taille diverse, un parallélogramme et un carré. Avec lui, ce petit jeu devient décor, il devient ville étouffante, montagne enneigée, terrain de jeu pour enfant. Cette fois, peu d'acrobatie, mais du chant, du jeu, de la construction, de la géométrie. Et un beau jeu de lumière, aussi.

Décidément, je renouvelle mon contrat de fidélité à Aurélien Bory, à ses projets et à la Cie 111. Et pour une flippée de l'engagement, ce n'est vraiment pas rien.