La Nuit
   Ils nous ont volé la nuit. Je me baladais sur l'avenue le cœur pour ainsi dire à l'inconnu. C'est là que ça m'a frappé: ils nous ont volé la nuit! Comme ça. Comme un rien. Pas vraiment sans prévenir, on peut pas dire. Sans le claironner non plus. Non, juste, on a fait diversion. Ils nous ont dit, « vous aurez moins peur le soir » ou encore, « les rues seront plus sûres ». On a prolongé le jour. Alors, les noctambules errent en vain, cherchent sans chance de le trouver, un havre de pénombre où se reposer des lumières et des flashs de la ville, qui tout le jour déjà , agressent le badaud. Ils ne trouveront plus la sérénité d'une obscurité où enfin échapper aux regards des fouines anthropomorphes et des métro-boulot-Pernaut. Les chats ne sont plus gris, le étoiles ne sont plus tout court. On a tiré le rideau sur elles. « Merci bien, on se débrouillera tout seuls. ». Et l'homme qui pleure tous les jours après la pluie, qui court tous les samedi après le soleil, tourne le dos au ciel quand il est soir. Sans raison. Et pourtant « pourvu que demain il fasse beau ».
   Ouvre tes yeux connard! Le beau il est là , il te tend le ciel! Enfin, il te le tendait. Et tu l'as laissé filer. Toi, moi et les autres, l'avons laissée disparaître sous un écran de lumière. On s'est fait enfumer. On nous a volé la nuit. Jamais plus peut-être on ne la reverra. A gauche, à droite, agression de réverbères. On pond des mirages comme s'il en pleuvait. Les voitures courent sur les boulevards, les enseignes prétendent scintiller, poudres aux yeux. C'est Broadway. Partout c'est Broadway. Dans ton bled, chez tes vieux, à la ville, au village, à la mer, à la montagne c'est le même topo. A Paris on se flatte, « la Ville lumière » qu'ils appellent çà . Ailleurs on fête les lumières. Pas celles de la Raison, non, celles là risqueraient d'ouvrir les yeux des gens. Allumer les cerveaux, il faut pas. Trop dangereux. Non, ce qui compte c'est d'éclairer pleins feux sur le théâtre du monde, et tant pis si ce qu'on joue est mauvais ce soir. Ce qui compte c'est que ça en jette. Des siècles que le script sent la gerbe alors merci la fée électricité, joli coup de main, bravo. On enverra la facture aux étoiles.