Jean-Louis Trintignant et son cercle des (grands) poètes disparus
Jeudi 14 octobre 2010, Jean-Louis Trintignant rencontrait le public au théâtre des Célestins dans le cadre de son spectacle “Trois poètes libertaires”, à l’affiche jusqu’au 17 octobre. Retour sur ce temps d’échange très instructif, mais parfois gâché par quelques spectateurs cabotins en manque de lumière…
“Je suis toujours étonné que ce spectacle marche si bien. C’est vrai, 1h20 de poèmes, même avec un peu de musique, cela pourrait être barbant !”. Voilà du Jean-Louis Trintignant pur jus dans le texte, entre humilité que l’on devine sincère et humour malicieux. Un régal à écouter, surtout avec une si belle voix… Vendredi 14 octobre, 19h, grande salle du théâtre des Célestins. Les fauteuils de l'orchestre de la grande salle affichent "complet” et l’on distingue d’autres spectateurs aux balcons. En organisant cette rencontre entre l’équipe du spectacle “Trois poètes libertaires” et le public, les Célestins ont eu une excellente idée. Au fil des questions, Trintignant et ses deux musiciens complices, Daniel Mille et Grégoire Korniluk, dévoilent les coulisses de leur spectacle : la sélection des textes de Boris Vian, Jacques Prévert et Robert Desnos, le travail minutieux autour de la musique, etc. Le tout parsemé d’anecdotes et de surprises (comme la lecture d’un poème de Vian récemment découvert). C’est passionnant, même si l’on n’a pas vu le spectacle et qu’on n’ira pas le voir, faute de temps… et de billet d’entrée.
Révélations On découvre par exemple les différences non négligeables entre la version chantée du Déserteur, signée Boris Vian (“Monsieur le Président, si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes que je n'aurai pas d'armes et qu'ils pourront tirer”), et la version initiale de ce poème, composé en 1954 – en pleine guerre d’Indochine-, dont les derniers vers disaient “…que je tiendrai une arme, et que je sais tirer...". (Boris Vian aurait accepté la modification de son ami Mouloudji pour conserver le côté pacifiste de la chanson, ndlr).
Un spectacle très apprécié “Au début, j’avais choisi des textes qui parlaient de l’amour et de la mort. Puis, j’ai remplacé les textes sur l’amour par des textes plus politiques ; cela se comprend vu l’actualité”, précise le comédien. “Il existe bien d’autres grands poètes contemporains que Vian, Desnos et Prévert, mais mon choix s’est porté sur eux. Travailler sur leurs textes est un cadeau énorme qu’ils nous ont fait”. Dernière révélation : le spectacle fera l’objet d’un enregistrement audio, mais pas d’un dvd ; une bonne nouvelle pour les nombreux spectacteurs qui l’ont déjà vu et visiblement beaucoup apprécié. Plusieurs d’entre eux n’ont d’ailleurs pris la parole “que” pour remercier les trois interprètes. Et Trintignant de conclure : “J’aime beaucoup ce spectacle, c’est mon dernier car j’ai 80 ans, mais j’aimerais le jouer encore pendant des années. Avec Daniel et Grégoire, nous progressons chaque soir grâce à vous. Merci !”. Bémols On peut déplorer que d’autres spectateurs aient fait preuve, eux, de moins de sobriété en s’emparant du micro ! Qui pour lire un poème de leur cru (même si cela demande un certain courage), qui pour faire de la publicité (à peine déguisée) pour leur atelier de poésie ou de théâtre, “étaler leur confiture culturelle” en cabotinant devant tout le monde, voire proposer à l’artiste de mettre en scène un spectacle sur un sujet personnel très douloureux ! Pas la peine de vous faire un dessin, je présume… Très irritant, à force. Sur scène, Gentleman Trintignant écoute poliment, remercie sans s’impatienter, avant de passer à la question suivante. La grande classe…
“Je préfère le théâtre au cinéma” La fin de la rencontre permit d’élargir le débat au septième art, autre discipline dans laquelle Trintignant s’est illustré à plus d’une reprise (“Un homme, une femme”, “Regarde les hommes tomber”, “le bon plaisir“, etc.). “Le cinéma est plus gratifiant et mieux payé… mais je préfère jouer au théâtre malgré tout, c’est plus intéressant. Claude Brasseur a dit un jour : 'On peut faire du cinéma sans acteur, mais on ne peut pas faire de théâtre sans comédien'. C’est vrai”. Jean-Louis Trintignant a néanmoins annoncé qu’il tournera un film en 2011, sous la direction de Mickaël Hannecke.
Au début de sa carrière, dans les années cinquante, Jean-Louis Trintignant rencontra tour à tour Boris Vian et Jacques Prévert (Desnos était, lui, mort en déportation). Cinquante ans plus tard, il boucle la boucle par un vibrant hommage à ces trois grands poètes disparus… pour le plus grand plaisir des amoureux de la poésie, cette “magie qui nous régale avec des mots”.
Bruno “Sleepless”