le Trottoir au soleil de P. Delerm
Publié Vendredi 20 mai 2011
Trottoir ensoleillé à nous brûler le bout du nez de gaieté!
Sorti avant même l'arrivée du printemps, le dernier recueil de Philippe Delerm peut continuer à s'apprécier tout au long des saisons, car Le Trottoir au soleil est dans la continuité d'un de ces « autres plaisirs minuscules », sous-titre de son livre à succès, La première gorgée de bière, paru il y a bientôt quinze ans.
Son dernier opus est justifié par l'auteur lui-même, qui nous prévient dès le début : « Á soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d'été (...). C'est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur (...) Le temps n'est pas à jouer ; il n'y a pas de temps à perdre. Avec les mots rester solaires (...) dire qu'autre chose est possible, ici. Plus les jours passent et plus j'ai envie de guetter la lumière, à plus forte raison si elle s'amenuise. Rester du côté du soleil ».
Bien sûr, il n'est pas idiot, il anticipe les critiques, reconnait que le soleil et tout ce tralala, avec les guerres et les atrocités de la vie ordinaire, ça ne semble pas très cohérent. Et pourtant, son idée, c'est « rester solaire à cause de tout cela ». Et à l'heure des succès des Indignez-vous (qui n'est pas sans rappeler l'Insurrection qui vient, publié en 2007 et rédigé par un Comité invisible) ou de l'Eloge de la lenteur de Carl Honoré, la poésie solaire parait être d'autant plus un refuge nécessaire, alors qu'avec la couche d'ozone, notre soleil nous brûle de plus en plus.
Embrasser notre temps plutôt que le refouler.
Au regard de ses œuvres, Le Trottoir au soleil semble parachever le long chemin d'un écrivain français qui sait où il va, le soleil attendra, s'attrapera plus tard, peut-être à soixante ans. En petit panorama de titres significatifs (la liste n'est pas exhaustive), ça commence en 1986 par le panorama de sa quête justement, Le Bonheur. Tableaux et bavardages ; 1994 : Mister Mouse ou La Métaphysique du terrier ; 1994 : Surtout, ne rien faire ; 1995 : En pleine lucarne ; 1995 : L'Envol ; 1996 : Sundborn ou les Jours de lumière (roman, Prix des libraires, 1997 et prix national des bibliothécaires) ; 1997 : La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ; 1998 : Panier de fruits ; 1998 : Elle s'appelait Marine (déjà !!) ; 1998 : Il avait plu tout le dimanche (13 ans avant, coup de malchance, avant de trouver le soleil) ; 1999 : Les Chemins nous inventent (ou nos propres sillons); 1999 : Le Portique ; 2000 : Un été pour mémoire ; 2001 : La Sieste assassinée ; 2001 : C'est toujours bien ; 2001 : Fragiles ; 2001 : C'est bien ; 2002 : Le Buveur de temps ; 2002 : Paris l'instant ; 2003 : Enregistrements pirates ; 2005 : Dickens, barbe à papa et autres nourritures délectables ; 2005 : Ce voyage ; 2005 : Quiproquo ; 2006 : Maintenant, foutez-moi la paix ! ( signe précurseur du retirement ?) ; 2008 : Traces ; 2008 : Ma grand-mère avait les mêmes ; et enfin, 2011 : Le Trottoir au soleil.
Dans Le Trottoir au soleil, ce fils d'enseignants, né en 1950 (pour la petite histoire, il est marié avec Martine Delerm, illustratrice pour la littérature jeunesse, et leur fils est Vincent Delerm, auteur-compositeur-interprète) est devenu enseignant à son tour, et s'applique à saisir ces instants volés, non pas que la nature nous les cache, mais parce que tellement éphémères, volatiles, qu'on les oublie ces instants solaires. Ça tient toujours tout au plus du détail, de la nuance.
Il fait écho au blog Banc Ouvert par exemple, petit monument appelant au voyage : « Je le sens, je le touche ici, allongé sur mon banc, dans cette absence d'heure : c'est ça l'été, et les vacances devraient être toujours ainsi - une bulle d'éternité tranquille avant une sieste paisible ». Et dans la même mouvance, le banc peut aider, avec un peu d'âge aussi, à presque disparaître : « Est-ce qu'on envie ceux qu'on admire ? Un peu bien sûr - cela serait si triste pour eux s'ils ne nous faisaient pas tourner la tête. Mais le statut délicieux n'est pas celui d'actif ni de regardé. Pour connaître le vrai plaisir de la rue, mieux vaut faire partie des regardants. A l'ombre ou au soleil. Couleur muraille. Disparaître. Il y a plein d'endroits pour ça, des bancs, des marches. La terrasse des cafés reste un endroit privilégié. Un peu d'âge aide bien. On ne fait plus partie du jeu sexuel, on ne suscite pas encore la pitié, on n'embête plus l'espace avec la virtualité du désir. Alors on peut se fondre, et on devient ».
Sortir du chaos pour mieux y revenir. Comme lorsqu'il s'interroge sur l'expérience de lire dans son bain, « sorte de lévitation ouatée », de pouvoir « presque » manger dehors, ou encore, de traverser la rue « pour prendre le trottoir au soleil », « c'est une sensation encore, ce n'est plus qu'une idée ».
Pour conclure, et clore sur cet esprit pacifique, on retrouvait déjà le même paradigme de la paix intérieure, dans La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. Là aussi on retrouve un brin de soleil, dans la lecture traditionnelle du journal le matin. Reflet du monde, un journal selon Philippe Delerm, « par lui-même, est déjà pacifiant ». « On n'y découvre pas le jour, ni la réalité : on y lit Libération, Le Figaro, Ouest-France ou La Dépêche du Midi... Sous la permanence du bandeau titre, les catastrophes du présent deviennent relatives. Elles ne sont là que pour pimenter la sérénité du rite ».
Comme la joie du mercredi à Lyon avec le Petit Bulletin, qui nous révèle les sorties de la semaine, en oubliant les klaxons, ordures et saletés de la ville. Du neuf, du propre, ou un regard nouveau.