Chevalier au Musée des beaux-arts de Lyon
Publié Vendredi 24 juin 2011
Un Chevalier lyonnais sorti de l'ombre
Le musée des Beaux-Arts de Lyon donne à voir une exposition consacrée au peintre lyonnais Jean Chevalier. Cet artiste, trop méconnu et cantonné dans le rôle de disciple d'Albert Gleizes, le maître du cubisme, est perçu ici au travers d'aspects méconnus de son œuvre.
Il y aurait ainsi deux phases, schématiquement, pour comprendre l'évolution des pensées de Jean Chevalier et la première est celle de la découverte de la peinture et l'attachement au cubisme. Né en 1913 à Saint-Pierre-de-Chandieu dans le Rhône, Jean Chevalier suit durant ses études, après un passage à l'École normale d'instituteurs de Grenoble, des cours d'histoire de l'art de René Jullian à l'Université de Lyon durant les années de 1932 et 1933. En 1937, il se rend à Paris alors que se déroule l'Exposition Internationale des arts et techniques, et en plus d'être saisi d'étonnement devant ''Guernica'' de Picasso ou encore, la peinture murale des ''Pavillons de l'Air et des Chemins de fer'' réalisée par Robert Delaunay, il y côtoie ce dernier et entame avec lui une relation épistolaire. Delaunay est très lié au mouvement du cubisme orphique et l'initie donc au principe de la lumière. Ces principes orphiques dans l'abandon des lignes empiriques pour la production de formes, peuvent se résumer dans les commentaires de Delaunay lui-même, quant à sa série des Fenêtres (1912) : «J'eus l'idée à cette époque d'une peinture qui ne tiendra techniquement que de la couleur, des contrastes, mais se développant durant le temps et se percevant simultanément, d'un seul coup».
Une rencontre décisive
L'année suivante, en 1938, par l'intermédiaire de Delaunay, il rencontre Albert Gleizes et commence alors à développer ses méthodes fondées sur la rotation des formes géométriques et la translation (transformation ponctuelle faisant correspondre à chaque point de l'espace un autre point par un vecteur fixe) ou encore, le déplacement de plans traités en aplats.
Á l'atelier du Minautaure de René-Maria Burlet fondé en 1942 au 122 rue Saint-Georges dans le Vieux Lyon, Jean Chevalier, qui écrivait également des articles en lien avec la peinture, tient des conférences sur Albert Gleizes pour transmettre sa pensée. Il est aussi très présent à la galerie Folklore de Marcel Michaud au 23 rue Thomassin où se tiennent de vifs débats sur le devenir de la peinture. Durant cette période, les œuvres de Chevalier conservent les caractéristiques de Gleizes. En 1946, il participe au Salon de réalités nouvelles qui a pour objectif la promotion "d'œuvres de l'art communément appelé : art concret, art non figuratif ou art abstrait, c'est-à-dire d'un art totalement dégagé de la vision directe de la nature".
En 1953, Albert Gleizes meurt et Jean Chevalier, promoteur de sa pensée, va peu à peu s'affranchir de cette constante association. Ce rapprochement systématique est en effet problématique car cela revient à limiter sa carrière à dix années seulement de production, comme si il n'y avait pas d'œuvres postérieures à la mort de Gleizes. En opérant lui-même les encadrements de ses peintures comme un naturel prolongement de son œuvre (''Développement mélodique'' en 1956), Jean Chevalier et ses ''tableaux-objets'' attestent de cet acquis de ''nouvelle'' liberté.
Temps, lumière et poésie
Le peintre s'éloigne donc du style géométrique pour une abstraction libre, lumineuse, aux formes éclatées (on peut penser à son ''Printemps de Prague'' en 1968). Il y a par exemple un recueil qu'il a intitulé ''Série des Cinq Dessins'' en 1982, sorte de travail graphique associé à la peinture emblématique de son travail sur la trajectoire (des courbes si précises semblent être produites par un compas) : on arrive à l'œuvre ''de la maturité'' où Jean Chevalier a dépassé la décennie cubiste d'Albert Gleizes. On peut citer également le livre "Dialectique du regard" (encre de Chine sur papier blanc, et pastels gras sur papiers colorés, 1992-1995) prêté par l'Université Lyon 2 qui se compose de sept recueils dont chacun est consacré à une couleur et dont le poème initial est en partie ainsi composé : « ... Ceci n'est pas un livre, mais quelques tables de sonorité merveilleuse faisant lever la voix du Poète...en les jours calmes et selon le temps qu'il fait... Jadis, lors de nos soirées lentes sous le noyer bleu, je fis part de mon projet au singe grammairien1. Bien sûr, le singe grammairien sait les singes, mais il n'y a pas de secret. Il me précisa que rien ne serait sans la matrice nourricière et que rien ne serait de nouveau généré sans l'acte réel d'un passionné du vrai, un Artiste avec son chant habitant l'Atelier de lumière, sans son écriture arabesque pouvant aller jusqu'à induire quelque chœur d'universalité».
Cette exposition à voir jusqu'au 14 août est intitulée ''Jean Chevalier, la lumière et le temps'' ce qui prend donc dans cette conclusion, tout son sens, entre ses débuts orphiques proche du ''langage-lumineux''d'Apollinaire (liant la poésie à la peinture) et le temps, le temps qui laisse des traces toujours, comme le conféraient Delaunay et aussi, pour le reprendre encore, sa ''peinture qui ne tiendra techniquement que de la couleur, des contrastes, mais se développant durant le temps et se percevant simultanément, d'un seul coup''.
Fanny Chevillotte
1- En référence au livre d'Octavio Paz, ''Le Singe grammairien'' (1972)