"NO PRESENT" de Lionel TRAN
   Attiré par une critique des Inrockuptibles datée du 26 septembre, on se dit que oui, pourquoi pas, ne mourons pas idiots, et prenons la peine de lire un livre, pour une fois, soit « No présent », une sorte de « saut dans le vide » nous dit-on, « nihiliste » de surcroît, rien de plus attirant pour nos esprits légèrement torturés et passablement pessimistes en somme.
Nous nous retrouvons dans les années 90, l'auteur, né à Vaulx-en-Velin en 1971, a  grandi dans le générique d'HP de « l'île aux enfants », du riz cantonnais qui grille dans la poêle, mais pas que, loin s'en faut.
 Dans l'immeuble d'à côté, son copain sniffe de la colle depuis l'âge de 7 ans. Ce sont les enfants de cette génération de parents soixante-huitards, dont l'éducation est laissée en friche, puisque la révolution sexuelle étant le souci premier, et la libération des mœurs la bataille, les bons pauvres et les méchants capitalistes bien identifiés à coup de conversations interminables, il n'y a plus grand-chose à faire bientôt que se laisser aller à jouir de cette époque de liberté, les seins nus des mères au soleil et le joint en partage. « L'important est d'être bien dans sa peau, d'avoir des coups de cœur créatifs, de porter un regard ouvert sur le monde » finit-on par leur livrer comme seul conseil.Â
Seulement voilà . C'est le rêve aussi qui a été consumé et la réalité qui fait mal. Chômage de masse, gauche caviar désenchantée, années Tapie et grand délire collectif du fric-jouissance rapide, Jean-Pierre Gaillard et ses chroniques boursières rythmant la sainte journée, Khaled Kelkal dégommé, attentats à droite à gauche, Rwanda, on va pas résumer, la « Bof génération » se réveille on ne peut plus critique,  suprêmement intelligente même. Â
Le bac en poche, quelques mois de fac, et le fruit  mûr éclate.
 « Nous plongeons les yeux fermés avec le désir de ne pas nous laisser formater par le système, de ne pas apprendre à devenir responsables, de ne pas passer à côté de nous-mêmes par lâcheté ». Sans parachute, car en quoi faudrait-il croire vraiment qui fasse encore rêver ?
Tran décrit donc l'histoire de ce collectif de potes, enfermés dans une sorte de squat à la Croix-Rousse, tous plus ou moins artistes et tous profondément désespérés, qui va sombrer en bateau ivre dans le grand n'importe quoi  de l'association des fumeurs de shit, puis de revendeurs bien organisés. Alcool, acides aussi, tout ce qui peut exister ou presque est testé, puis après la manche, le dénuement total. Certains en réchapperont, d'autres pas.
Dans un style époustouflant, mélange de radiographie clinique et de flow de très haut niveau, d'une dureté tellement insoutenable qu'elle en est parfois drôle, Lionel Tran nous livre aussi, en filigrane, l'engagement total d'un jeune homme à la John Fante, qui décide de s'avouer, dans nos sociétés revenues de tant de choses, à la fois raffinées, narcissiques et profondément méprisantes de toute ambition humaine profonde : devenir écrivain. Quitte à en crever.
Le moins que l'on puisse dire c'est qu'avec « No présent », chant glacial qui nous parle aussi de l'héroïsme propre à toutes les  jeunesses du monde, il y est arrivé.Â
Editions STOCK, collection La Forêt, 283 p, 19,50 euros.