14 de Jean Echenoz

Publié Samedi 27 octobre 2012

De vous à moi, pour ne rien vous cacher, Echenoz, on adore.

Le bonhomme est discret, s’excusant presque d’être là, un mocassin planté en biais, l’autre en partance pour s’en aller. Pas franchement non plus  le genre de type théoricien de quoi que ce soit, de la littérature par exemple, de ce qui devrait être ou pas. Plutôt adepte du format court, idéal en voyage, sur petit trajet, on l’a d’ailleurs récupéré à la gare, entre autres choses, mais nous on partait nulle part, on était juste venu pour ça.

Un jour qu’on avait prêté « Ravel » (le magnifique Ravel, qui inaugurait sa trilogie des grands hommes, qui commençait d’ailleurs à tourner court), un ami nous le rend et puis me dit « tu vois, d’accord, c’est bien, mais à part les nombreux pyjamas de Ravel, ses insomnies et son côté dandy, enfin tu vois, il n’y a pas d’histoire, on s’ennuierait presque. » Eclatant d’un rire nerveux, presque hystérique, quasi gondolé sur la moquette, on s’était dit que oui, le bonhomme était grand, on va pas dire du « génie » ou du « talent », on aime pas ça, mais que pour le coup, il avait bien gagné son pari.

D’ailleurs Echenoz l’avait bien dit, dans une interview quelque part, mettant presque les points sur le « i »

« je n’ai rien à dire de particulier en somme, je n’ai pas de leçon à donner »

Soit.

Mais c’est sans doute un peu plus compliqué que ça.

 Alors « 14 » pour qui connaît la bête, c’est d’emblée différent. Différent de « Cherokee », différent de la période « Les grandes blondes » ou de « Je m’en vais » pour ne citer que ça. Plus grave que la période des grands hommes, qui n’en sont que pour les autres, qui se demandent presque ce qu’ils foutraient là.

« 14 » c’est donc la guerre et cinq amis qui partent au front. Deux frères notamment, on l’apprendra assez rapidement, une femme qui les attend. Et puis, à la différence de « Ravel » par exemple (si mélancolique « Ravel ») on ne rigole plus vraiment.  Et le sujet ne s’y prête guère.

Pourtant avec cette extrême élégance et cette pudeur bien particulière, Echenoz part au combat avec ces potes, pas vraiment plus que ça d’ailleurs, dans le grand n’importe quoi de ce conflit délirant, où l’on ne comptait pas les hommes. « Soldats de plombs identiques ». Expérimentations de tous ordres que l’on connaît ou pas (culotes rouges, premiers combats d’aéroplanes, « cervelières », gaz de toutes sortes, tranchées, et toutes les petites bêtes que l’on finira par manger et qui, elles aussi, comme elles ont la dalle, essaieront de survivre à tout ce fatras). Avec Echenoz on part dans les détails, mais on fait pas dans le sentiment.

« Tout cela ayant été écrit mille fois, peut-être n’est-il pas la peine de s’attarder encore sur cet opéra sordide et puant ».  

 Reste Blanche, la femme qui attend, et puis Anthime, qui reviendra, et qui « jusqu’au premier impact de projectile près de lui », (…) n’y avait pas tellement cru. A l’image de Ravel, qui au fond s’ennuyait ferme, Anthime n’est un modèle pour personne, et surtout pas un héros, juste un gars comme il faut, loin des honneurs, pas vraiment brave, bien au-dessus de ça.

  Ce que devrait être chaque homme au fond de soi.     

"14" de Jean Echenoz, 123 p.; 12, 50 euros.