Critique de Rhinoceros

Publié Mercredi 29 mai 2013

Le directeur du centre dramatique de Reims présente cette semaine une reprise de Rhinocéros. Salutaire initiative : la pièce étant rarement représentée, on en oublierait presque qu'Ionesco a écrit autre chose que La cantatrice chauve ou La leçon. D'autant plus salutaire que la séance de rattrapage s'est bien déroulée.

Sur la fiche de présentation, une citation mise en exergue : « Dans notre monde occidental, ce qui peut nous faire devenir Rhinocéros, c'est la mode. On ne vous force plus à penser tous de la même façon, vous le faites. » (Ionesco, 1990). Voilà un propos qui est développé de façon relativement convaincante au fil de la pièce. Pas toujours évident cependant, notamment au premier acte, qui montre une foule de personnages sur la place du marché. Ceux ci ayant quasiment tous la parole, il y a aussi foule de propos, dont ceux de monsieur le Logicien, sur qui Ionesco défoule manifestement toute sa raillerie à l’endroit des systèmes de pensée dite « logique ». Et comme ces propos interférent avec le dialogue entre Bérenger, personnage principal et son interlocuteur, une certaine confusion naît. On mettra cependant celle ci sur le compte de la densité, car la mise à sac du syllogisme, ici symbole de totalitarisme, a bien sa place dans la pièce.

 Du raisonnement spectaculaire

Le propos se fluidifie par la suite, alors que la pièce devient très spectaculaire dans la première moitié du second acte. La mise en scène ne lésine pas sur les moyens pour représenter le harcèlement mené par le directeur sur ses employés ainsi que les nouvelles attaques de Rhinocéros qui entament le décor. Ce qui est ici frappant est l’extraordinaire travail sur la gestuelle : à ce stade on est littéralement dans un travail de chorégraphie. La synchronisation de l’ensemble des acteurs, déjà mise en œuvre dans le premier acte, semble en effet travaillée au millimètre près, et le rythme de la pièce devient à ce stade carrément rock ’n roll.

Autre atout considérable de ce spectacle: le charisme de Serge Maggiani, qui campe remarquablement bien le personnage deBérenger, grand soiffard naïf et mal assuré qui sera cependant sauvé par sa grande humanité. Quand on entend sa voix mitigée entre niaiserie, gravité et nonchalance et qu’on voit cette démarche désinvolte, on ne peut s’empêcher de songer à un gentil petit canard au plumage hirsute, et on entre favorablement dans cette histoire.

Texte Eugène Ionesco - mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota

Vu le 28/05/13 à la MC2-Grenoble

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