Critique de Marius et Fanny
Malgré l'intention louable de faire connaître aux plus jeunes la célèbre trilogie marseillaise de Pagnol, la version signée Daniel Auteuil de "Marius" et "Fanny" peine, selon moi, à faire oublier l'originale datant des années 1930...

Vouloir faire un “remake” d’un chef d’œuvre du cinéma est un défi à double tranchant pour un cinéaste. En cas de succès, le public et la critique crieront peut-être au génie mais gare au retour de manivelle si le film déçoit par manque de recul ou d’originalité par rapport à l’œuvre de référence. C’est un peu ce que j'ai ressenti à la sortie de “Marius” et “Fanny”, les deux premiers opus mis en scène par Daniel Auteuil d’après l’œuvre de Marcel Pagnol.
La barre était-elle trop haute pour le comédien passé à nouveau derrière la caméra ou la célèbre version datant des années 1930 avec - excusez du peu - Raimu, Pierre Fresnay et Orane Demazis dans les rôles principaux, demeure incontournable, même en 2013 ? Auteuil connaît pourtant bien l’œuvre de Pagnol pour avoir joué dans “Jean de Florette” et “Manon des sources” à la fin des années 1980, et dirigé plus récemment, en 2011, une adaptation de la “Fille du puisatier”. Si l’hommage à l'auteur provençal reste sincère, la forme déçoit.
Casting inégal Certes, au niveau de la reconstitution, il n’y a rien à redire : Auteuil nous replonge dans le Marseille des années 1930, son vieux port, son ferry-boat, sans oublier le fameux Bar de la Marine (qui existe toujours).
Le casting est en revanche moins convaincant. À l’exception de Jean-Pierre Darroussin, impeccable dans le rôle de Maître Panisse, et des deux jeunes premiers, Victoire Belezy (1er rôle au cinéma) et Raphaël Personnaz (le beau gosse de service), le reste de l’équipe joue en roue libre. Daniel Auteuil et Marie-Anne Chazel en font des tonnes, sans parler des seconds rôles Daniel Russo et Nicolas Vaude qui interprètent respectivement de bien pâles capitaine Escartefigues et Monsieur Brun alors que ces derniers tenaient une vraie place dans l’œuvre de Pagnol. On ne reconnaît plus la truculence du premier et le côté coincé-petit bourgeois délicieux du second, un rentier Lyonnais toujours tiré à quatre épingles entouré de Marseillais.
Résultat : chacune des scènes mythiques (la partie de carte avec son célèbre “tu me fends le Coeur !” ou encore celle de pétanque) paraîssent bien fades. À quelque exceptions près, les accents méridionaux sonnent faux, exagérés comme si une troupe de comédiens parisiens voulaient s’improviser marseillais le temps d’une bouillabaisse…
Retour dans les années 1930 ? Pour le spectateur de 2013, âgé de moins de 35 ans, le divertissement reste cependant de facture honnête avec son histoire d’amours contrariées et d’honneur familial à préserver du qu’en dira-t-on. Il sera plus difficile de séduire celles et ceux – il en existe encore ^_^ – qui préféreront vraisemblablement la version originale en noir et blanc de 1931, 1932 et 1936 qu’à ce duplicata en couleur, certes sincère mais guère enthousiasmant. Avec un peu de chance, Daniel Auteuil donnera peut-être envie aux jeunes spectateurs cinéphiles de découvrir les authentiques “Marius”, “Fanny” et “César”. C’est déjà un beau défi de les inviter à se replonger dans l’un des bijoux du patrimoine cinématographique français de l’entre deux guerres…
Le tournage de la dernière partie de la trilogie marseillaise, intitulée “César”, devrait bientôt débuter.
© Bruno Sleepless