Dans les coulisses de "Atvakhabar Rhapsodies"

Publié Mercredi 1 juillet 2015

​Dans les années 20, l'explorateur Emile Prokop a filmé un monde jamais exploré auparavant. Sur des notes éthologiques et contemplatives, ce film, aujourd'hui retrouvé, est présenté aux spectateurs. Plongeant leurs racines dans l'essence même de l'école Alwin Nikolaïs, qui considérait que la dance "motion" traduisait bien plus qu'un mouvement d'un point A à un point B, mais racontait toute une véritable histoire, la compagnie Système Castafiore présente le ballet "Atvakhabar Rhapsodies". Charlie Asteridae

Tirer la carte "chance"

Nous sommes accueillis (et infiltrés) dans les couloirs de l'Opéra par Nadja Probel du Petit Bulletin et Pierre-Henri Alquier, responsable marketing de l'Opéra de Lyon.

Dans les entrailles de la bâtisse, loin sous la surface du sol, l'une des salles de répétition.

Le volume de la pièce respire autour d'un vaste tapis de dance, entouré de matériels, de décors, de projecteurs, et de petits cabinets de curiosités : des présentoirs garnis de costumes sombres, tissés, brodés, aux formes étranges. Chaque danseur changera 3 à 4 fois de costumes pour les 35 tableaux du ballet. Plusieurs têtes en polystyrène présentent les masques des danseurs qui permettront à leurs yeux de s'allumer dans la pénombre de ce ballet tout en ombres chinoises. Des coiffes présentent des cornes, des antennes, et laissent deviner les créatures incroyables qui peuplent ce monde.

Nous remontons, nous arrivons on stage. La hauteur sous plafond est impressionnante. Depuis cette salle "en fer-à-cheval", les balcons s'élèvent très haut, très très en haut en fait. Devant la scène, le proscenium - où se tient habituellement l'orchestre - a été recouvert car les danseurs s'expriment sur bande, créée par le metteur en scène, Karl Biscuit. L'occupation de l'espace sera donc complète.

Le ballet des techniciens s'exécutent déjà, car il ne faut pas oublier qu'avant de laisser la planche, la mise (en place) est de rigueur. Pierre-Henri pointe les câbles qui serviront à suspendre l'un des danseurs qui mimera une chute appuyée par la projection cinématographique d'un puits sans fond. S'agirait-il alors d'emprunter le trou de lapin comme l'aurait fait Alice avant nous ?

La lumière du mouvement

Derrière le miroir, le sommet

Pour entrer dans la verrière - le demi-dôme vitré qui surplombe l'Opéra - il faut enlever ses chaussures, se faufiler dans un petit couloir encombré de larges jupes rondes en mousse rigide, passer derrière le piano à queue. C'est la lumière qui frappe la rétine en premier, et puis la vue sur Lyon et ses façades rose et ocre. Tout autour du dancing floor, la fameuse barre de bois chère aux danseurs classiques définit le périmètre de travail.

Deux groupes de danseurs, emmenés une maîtresse de ballet et une répétitrice, ex-danseuse de la troupe, se mettent en place. Plusieurs d'entre eux se glissent dans des vestes munies de très longs bras et la répétition des placements commencent. L'étrange musique se prête parfaitement aux mouvements simiesques des danseurs incarnant ces créatures effrontées et taquines.

La bizarrerie de la dimension animale donne un rendu exquis. Chacun des artistes amène sa touche, comme un morceau de soi amené dans ces terres lointaines. Se détache le regard bienveillant de la maitresse de ballet : «Il y a une histoire de regard [théâtrale], comme un appui par rapport à tes [grands] bras.» Et effectivement, c'est tout le corps des artistes qui est en mouvement, du sommet du crâne jusqu'aux orteils. «Prend le temps !» lance-t-elle alors, comme si l'on pouvait alors tous prendre le temps de s'attarder dans le paysage de ces terres magiques. Atvakhadabra !

L'un des danseurs, nouvellement intégré à la troupe, vient tout juste d'apprendre la chorégraphie. Ses partenaires le soutiennent, répètent chaque mouvement avec lui. Il est presque impensable de se dire que moins d'une heure avant, tous ces mouvements lui étaient étrangers ! Le tableau est physique, et pour nous non-Atvakhabariens, il est amusant de voir que sous ces créatures étranges de ballet, se cachent des artistes semblant s'amuser à chaque pas. Aristote avait vu clair, «il n'y a pas de génie sans un grain de folie»

Malgré une saison éprouvante et intense, deux danseurs sortent d'Atvakhabar l'espace d'un instant et prennent le temps de nous parler. Tada, l'un des danseurs-scarabées du tableau et travaillant pour l'Opéra de Lyon depuis 6 ans, confirme que l'entente est essentielle entre les danseurs, que les costumes peuvent être imposants et qu'il y a toute une technicité derrière, comme cacher les yeux lumineux de leurs masques avant d'arriver sur scène - car personne n'aimerait savoir ce qu'il se trouve au centre de la terre avant d'y descendre !

Silence, on tourne

Dans la seconde salle de répétition, dans les sous-sols, de hautes cheminées de métal ont été positionnées au centre du tapis de danse. C'est Marcia Barcellos, chorégraphe, qui supervise. Les six danseurs viennent de différents horizons : Pavel est biélorusse, Ashley australienne, Raoul espagnol, Tada franco-japonnais, Mathieu et Amandine sont français. Alors parmi les «One, two, three... then we turn twice», on entend le langage universel de la danse : «pas de bourrée», «grand plié».

Malgré les caméras de télé, les costumières qui ajustent les dernières tenues, les danseurs s'affairent. Le ballet des répétitions donne une impression de chambardement sérieux et récréatif. Du chaos artistique émerge alors la voix de Marcia et tout semble prendre corps. Les danseurs occupent l'espace, et le son des cloches de la bande son démarre.

En un battement de cil, le tableau prend forme. Occupation de l'espace, fluidité, mouvement.

Le manège tournant des danseurs est renforcé par les mouvements des jupes des costumes reproduisant les ondulations des habits traditionnels des derviches tourneurs de Turquie. Atvakhadabra !

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Nous remontons du ventre de l'Opéra vers l'extérieur. Le temps de remercier nos hôtes, l'heure est venue de partir.

Mais sachant ce que nous savons maintenant, nous n'apprécierons que mieux d'embarquer dans la frégate mise à disposition par le Système Castafiore pour regagner, une fois pour toute, les rivages inconnus et mystiques des terres d'Atvakhabar.