Tyrannosaur

Au fin fond de la misère sociale britannique, un homme cuve sa misanthropie et cherche une impossible planche de salut dans ce premier film de l’acteur Paddy Considine, impressionnant de noirceur, pas exempt de complaisance mais très maîtrisé. Christophe Chabert

Bourré comme un coing, écumant de colère contre son bookmaker, Joseph sort d’un pub en gueulant et décoche un méchant coup de pied à son chien, qui claquera peu de temps après. Pas de chance, car l’animal qui lui a servi de défouloir était son seul compagnon, son dernier repère. C’est ainsi que le spectateur découvre le protagoniste de Tyrannosaur : non pas en pleine chute, mais déjà au fond du trou, en harmonie avec le bout d’Écosse sinistre et sinistrée qui lui sert de décor. La politique est passée par là, a tout détruit, et ceux qu’elle a laissés sur le carreau n’ont même plus l’idée de se révolter — et à quoi bon, de toute façon ? Abandonnés de tous, livrés à leur misère, à la maladie et à la mort, ils ne croient plus en rien. Quand Joseph, après avoir agressé de paisibles employés pakistanais, se réfugie dans un magasin de brocante tenu par Hannah, une gentille fille qui ne jure que par Dieu, il la conspue en la ramenant à sa stupide bigoterie et à sa bonne conscience gluante.

Détruire, dit-il

Face à ce personnage, pur bloc de haine et de ressentiment, Paddy Considine trouve la bonne distance (et le bon acteur, Peter Mullan, dont la composition nerveuse et sur le fil de l’implosion fuit résolument le pathos) : ses pulsions (auto-)destructrices sont plus fortes que son appel à la rédemption, comme s’il recouvrait la moindre lueur d’espoir d’un immense voile noir. Mieux encore : la mise en scène, très maîtrisée, typique des acteurs anglais lorsqu’ils passent à la réalisation, ne cesse de le remettre en place dans cet environnement de désespoir et d’aigreur, comme s’il n’en était que le produit et qu’il finissait par entrer en symbiose avec lui. Tyrannosaur garde ainsi longtemps son cap de noirceur totale, même s’il le fait avec quelques excès de représentation, notamment quand le récit quitte Joseph pour se recentrer sur les rapports entre Hannah et son mari, brute froide déguisée en citoyen modèle. Considine n’évite pas une certaine complaisance afin de précipiter le dernier acte où même le salut a un goût d’amertume. Ça n’empêche pas Tyrannosaur d’être un film fort, de ceux qui n’ont pas peur de regarder en face les plus sombres aspects de la nature humaine.

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