Guy Delahaye : le garde du corps

Pour Pina

Bibliothèque centre-ville

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Exposition / La bibliothèque grenobloise du centre-ville accueille en ce moment une exposition du photographe Guy Delahaye consacrée à la chorégraphe Pina Bausch. Soit l’une des nombreuses figures du spectacle vivant des quarante dernières années qu’il a immortalisées. Rencontre avec ce Grenoblois d’adoption pour retracer un parcours hors-norme.

Barbe et chevelure blanche comme neige, sourire malicieux et œil aiguisé par des années passées à figer la réalité : à plus de 70 ans, Guy Delahaye demeure animé par la curiosité vivace, presque candide, de l’artiste. Coup d’œil sur son appareil photo. « Ce n’est pas mon appareil principal, je préfère travailler en argentique. Car il y a un côté artisanal, un savoir-faire que l’on n'a plus avec le numérique. La photo n’est plus un art plastique, elle demeure une forme d’expression artistique, bien sûr, mais il suffit d’avoir l’idée et d’appuyer sur un bouton, plus besoin d’habileté technique. C’est dommage. » L’argentique a aussi pour atout d’être à l’épreuve du temps, peut-être d’avantage que les données stockées sur logiciel. Des photos, Guy Delahaye en a en pagaille, de quoi remplir une maison entière. Il les développe lui-même, dans son propre labo. Certaines ont plus de 40 ans. « Bien rangées et classées dans des pochettes spéciales, c’est quasiment éternel. »

40 ans, c’est aussi l’âge auquel il met définitivement fin à sa carrière au sein de l’éducation nationale (où il avait commencé comme pion, pour financer ses études, jusqu’à devenir conseiller d’éducation), afin de se consacrer entièrement à la photo, qu’il pratique depuis ses années de fac. Les spectacles, en particulier : danse et théâtre. Depuis, entre expositions, livres-photos et clichés parus dans la presse, il parvient à en vivre convenablement, même si le métier s’est selon lui considérablement dégradé. « Aujourd’hui, je ne conseillerais à personne de se lancer dans la photo, c’est devenu impossible d’en vivre. D’abord parce que la presse a périclité : aujourd’hui, Libé paye 49 euros pour un cliché, vous imaginez ? Et puis, auparavant, on était une dizaine en France à gagner notre vie grâce à la photo de spectacle. Du jour au lendemain, avec le numérique, n’importe quel secrétaire ou directeur technique pouvait le faire. J’arrive encore à en vivre car je possède un million de photos en archive. Il ne paraît quasiment aucun livre de théâtre ou de danse sans que j’ai des photos dedans ! »

Des clichés des plus grands

Léo Ferré, Philippe Léotard, Patrice Chéreau, Jean Ferrat, Claude Nougaro : Guy Delahaye a photographié la plupart des grands de la chanson et du théâtre français. Des clichés qui conservent le passé, comme autant de souvenirs d’êtres chers, aujourd’hui disparus, d’ombres laissées à la croisée des chemins : vient un âge où l’on connaît plus de morts que de vivants.

Les artistes qu’il n’a jamais pris en photo se comptent sur les doigts de la main. « Jacques Higelin m’a envoyé chier, une fois, ça a été l’un des seuls. On mangeait ensemble au restaurant : "nan nan, je ne pose pas sur des portraits". Je ne me fâche pas quand on refuse de poser, du reste… J’ai photographié Fabrice Lucchini une fois, sur scène, pour un de ses premiers rôles. C’était au Festival d’Avignon, avec Michel Bouquet, il jouait le gamin qui court. Je me souviens qu’un jour, alors que je mangeais seul au restaurant, il s’était installé derrière avec une très jolie fille. Il en faisait des tonnes, n’arrêtait pas d’en rajouter, c’était très drôle. Et puis je l’ai entendu dire "Tu verras, je deviendrai un très grand comédien"… »

Guy Delahaye a également tiré le portrait à des artistes étrangers, américains, allemands… La chorégrapphe allemande Pina Bausch, surtout, pour laquelle il éprouve un profond respect teinté d’admiration. « Évidemment, quand on rencontre quelqu’un comme Pina, on ne la lâche pas, je ne peux pas compter le nombre d’expos que j’ai fait sur elle. Pour moi, elle est vraiment la plus grande. Je l’ai rencontrée en 1979, elle était alors totalement inconnue en France. Elle passait au festival de Nancy pour l’un de ses plus grands spectacles, Café Müller, et je suis allé la voir car je connaissais l’un des danseurs de sa troupe. J’y suis retourné tous les soirs. Je continue d’aller au moins deux fois par mois à Wuppertal [ville allemande où elle travaillait avec sa compagnie – ndlr]... En mai, j’y suis allé trois fois. » Elle aussi a quitté l’aventure, en 2009.

Mais son principal modèle demeure son épouse, qu’il a rencontrée lors de ses études à Grenoble. « Celle qui fut, qui sera et qui est toujours, son modèle, son égérie, son garde-fou » comme il l’écrit lui-même sur son site personnel.

De la Picardie profonde aux lumières de la capitale

L’artiste a fait du chemin depuis ses débuts modestes dans un petit village picard. « Mon père était ouvrier frondeur, on vivait dans une misère noire, j’habitais dans un hameau de 180 habitants. Il était bien sûr totalement exclu que je fasse de la musique ou du théâtre ! » Sa passion pour le spectacle a éclos un peu plus tard. « J’étais interne dans un lycée près de Paris, mon prof de français m’a emmené au Théâtre National de Paris le jour de la mort de Gérard Philipe [en 1959]. De toute ma vie je n’ai jamais vu une telle montagne de fleurs. J’ai été tellement ému que j’ai eu envie d’y retourner. Quand je rentre dans une salle de spectacle je suis transformé, j’adore l’ambiance, les coulisses, les loges. C’est probablement assez proche de ce que ressent un croyant qui rentre dans une église. » Plus tard, il part étudier à Grenoble, où il commence un doctorat sur l’art gothique. « J’ai alors commencé à prendre en photo les cathédrales. Des photos de choses qui ne bougeaient pas ! Quand je les revois, je les trouve plutôt bonnes, mais elles ne dégagent pas grand-chose. Je préfère photographier les gens. »

En 1968, année de la jeunesse, la Maison de la culture de Grenoble est inaugurée à côté de chez lui. Il se rend aux spectacles avec son appareil photo, et comme ses clichés plaisent à tout le monde, il ne tardent pas à être embauché. Trois mois plus tard, il prenait déjà des photos de Léo Ferré. « Il n’y avait personne dans la salle ! Je suis tombé au bon moment, beaucoup de ceux que j’ai photographiés à leurs débuts ont fini par devenir célèbres… puis par disparaître. »

Guy Delahaye est donc un autodidacte pur et dur. « Je suis tombé sur la photo totalement par hasard. Je ne connais du reste aucun photographe professionnel qui sorte d’une école de photo. Ceux qui l’ont fait en sont partis au bout de six mois. Soit l’enseignement des écoles de photo n’est pas ce qu’il devrait être, soit c’est un art qu’on doit apprendre tout seul. »

« Je me bats comme un diable pour avoir un lieu à Grenoble ! »

S’il vit à Grenoble depuis de nombreuses années, il n’est pas toujours tendre avec la ville de Stendhal et ses « horizons bornés ». La politique de la mairie, notamment, est dans sa ligne de mire : « Ni la photo, ni les arts plastiques n’intéressent la municipalité. L’ancienne, tout du moins. Il n’y a plus aucun lieu d’exposition. À une époque, je travaillais à la MC2 de façon quasi permanente, sur les spectacles passés, présents et à venir. Ça a duré presque quinze ans. Depuis, je me bats comme un diable pour avoir un lieu à Grenoble ! J’ai bien tenté de monter une association pour la création d’une maison de la photo, mais on m’a tellement tiré dans les pattes que j’ai fini par démissionner. »

Le constat est amer. L’artiste comptait léguer sa gigantesque collection de photos à la Ville. Il a changé d’avis. La collection ira à Avignon. Dommage pour Grenoble.

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