Chèvrefeuille Loisirs, retour à la vie d'une association de quartier
Lien social / À l'heure où les associations de proximité peinent souvent à exister par manque de moyens, Blandine Roy a repris les rênes de Chèvrefeuille Loisirs, située dans le 6ᵉ arrondissement de Lyon. Elle a choisi de rouvrir le local, de diversifier les activités, de recréer du lien au-delà des seuls seniors qui représentent la grande majorité des adhérents, en favorisant le mélange intergénérationnel.

Photo : Le Chèvrefeuille en pleine partie de Scrabble duplicate
Le tableau est prêt, les lettres soigneusement tirées et alignées : H, G, E, I, I, H, L. Autour des tables, une dizaine de joueurs se penchent sur leurs grilles personnelles, le front plissé mais l'ambiance légère. Quelques plaisanteries volent entre les tables, aussitôt suivies de silences appliqués - on n'est pas là pour rigoler, mais on n'est pas là que pour jouer (ou gagner) non plus. La partie de "Scrabble duplicate" commence. Chacun joue avec le même tirage, la même contrainte de temps, mais sans confrontation directe, le but n'est pas de battre ses voisins, mais de trouver le meilleur mot possible, ensemble mais chacun de son côté. Une gymnastique cérébrale qui fait mouche auprès des habitués.
C'est de ce petit monde que Blandine Roy a franchi la porte il y a une dizaine d'années comme simple adhérente, « pour des cours de bridge amicaux », dit-elle. Elle y est restée, s'est impliquée, et lorsque le président a envisagé de rendre le local alors que la convention triennale était toujours en cours, elle a décidé de s'investir davantage. « Je voulais sauver ce qui pouvait l'être », explique-t-elle sobrement. Aujourd'hui, ils sont quatorze bénévoles, tous « amateurs mais avec leurs compétences », à animer l'espace. La palette s'élargit doucement : pétanque, randonnées, tarot, aquarelle, yoga sur chaise, le tout pour un prix accessible de 50 € l'année. « Il commence à y avoir une forme d'émulation », glisse Blandine Roy.
Panachage assumé et voisinage en partage
Mais le Chèvrefeuille ne veut pas tourner en vase clos. « Il faut aller vers les autres », témoigne Blandine Roy. Cette orientation en faveur de l'intergénérationnel s'incarne dans des partenariats inattendus : assistantes maternelles venues avec leurs groupes d'enfants pour des ateliers créatifs, confection d'herbiers, sorties au musée. Et les occasions de brassage se multiplient : fête de la Saint-Valentin avec des familles de l'association Panach'âge, café-papote, et même une permanence en soirée dans une résidence du bailleur Grand Lyon Habitat, en lien avec la confédération des locataires.
Le poids des chiffres et des âgesÂ
À l'horizon 2030, un Lyonnais sur quatre aura plus de 60 ans, avec des pics déjà visibles dans certains quartiers - Monplaisir et Masséna frôlant les 35 %. Ce vieillissement rapide impose de soutenir des lieux de proximité, petits mais essentiels, capables de tisser du lien et de combattre l'isolement. La Ville multiplie les initiatives comme la création depuis 2023 de lieux d'accueil de proximité ou de "spots seniors" dans les centres sociaux ou les MJC, les visites de services civiques à domicile ou encore une programmation culturelle adaptée... Le budget consacré aux seniors est passé de 11 à 19 millions d'euros entre 2020 et 2025. Un effort notable, mais qui doit surtout compter sur ces structures de terrain, souvent tenues à bout de bras par des bénévoles acharnés.
L'association reste prudente. Son budget annuel tourne autour des 12 000 euros, les adhérents se rencontrent dans des locaux mis à disposition par la Ville. Derrière cette apparente stabilité, subsistent quelques incertitudes. Un projet de crèche municipale a un temps été évoqué à la place du Chèvrefeuille, avant d'être mis à l'arrêt. « Une décision a été prise en faveur de la crèche, mais avec l'engagement de reloger l'association », explique Alexandre Chevalier, adjoint au maire de Lyon chargé des liens intergénérationnels. « Mais à ce jour, rien n'est tranché », conclut-il.
Ce qui motive Blandine Roy, malgré les contraintes ? Ce sont « les rencontres », dit-elle. Et ce sentiment de répondre à un besoin bien réel, dans un quartier réputé pour sa froideur. « Tenir un local, c'est aussi prendre des responsabilités et même parfois quelques risques. Mais on tient bon. » Dans ce défi collectif, il y a un mot qu'elle répète souvent, celui de l'« utilité publique » face à  un contexte qui ne favorise plus beaucoup la création et le maintien de liens sociaux.