Le beau Serge
Art contemporain / La Galerie Henri Chartier expose une trentaine de dessins de Serge Poujon, artiste aujourd'hui largement oublié. Une œuvre à l'univers esthétique pourtant des plus singuliers et des plus séduisants.
Photo : SERGE POUJON Une femme qui est du lion zodiacal, 1996
Après Philippe Hortala, Tamas Zanko et Jean Batail, la galerie Henri Chartier poursuit ses recherches d'artistes des 20e et 21e siècles, méconnus ou oubliés du grand public. Artistes qui, selon Henri Chartier (et nous sommes d'accord) présentent encore aujourd'hui un intérêt esthétique et plastique, par-delà un simple regard historique ou anecdotique.
Le nouvel accrochage de la galerie est consacré à Serge Poujon (1944-2014), artiste totalement inconnu au bataillon, et dont on ne trouve nulle trace ni la moindre fiche Wikipédia sur internet ! De 1975 à 1995, ses œuvres dessinées ont pourtant été exposées à New York (où il était défendu par une galerie) et un peu partout en Europe. Elles font aussi partie des collections du Centre Pompidou ou du Centre National des arts plastiques, et ont été défendues par le célèbre critique d'art Pierre Restany ou par le non moins célèbre poète et écrivain surréaliste Philippe Soupault !

Champs magnétiques
Dès le seuil de la galerie franchi, nous sommes complètement déroutés par les tonalités pastel (roses, mauves, bleus...) des dessins de Serge Poujon. Son iconographie évoque aussi bien le cinéma (Catherine Deneuve, Johnny Weissmuller alias Tarzan....) que des œuvres d'art ou des figures antiques. On note son utilisation systématique de crayons de couleurs, technique qui lui permet à la fois une précision réaliste et un rendu de voilage brumeux. Chaque dessin est une rencontre énigmatique et inattendue, un peu à l'instar de la beauté selon l'écrivain Lautréamont (« beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'un parapluie et d'une machine à coudre »). On observe la Victoire de Samothrace et un vol d'oiseaux, une femme nue et un échiquier, une mante religieuse et un fauteuil ancien... Des rencontres surréalistes et des motifs parfois pop, une minutie réaliste et des atmosphères oniriques, des rapprochements du vivant animal et du minéral : Serge Poujon n'est pas à une contradiction près, ce sont même les contradictions, les apories et les paradoxes qui nourrissent sa créativité. « Impossible de s'évader de cet univers. Difficile de découvrir le secret de celui qui, discrètement, refuse de nous guider vers le mystère de ses choix » écrit Philippe Soupault. Il y a en effet une sorte de magnétisme hors du temps qui nous attire vers les œuvres de Poujon : tout y est à la fois si simple, lumineux et incongru.

