L'Inconnu de la Grande Arche, le rebelle
Cube / Portrait d'un perdant magnifique, évocation d'un point de bascule de la vie politique française, allégorie de la création artistique... Stéphane Demoustier monte en gamme et en ambition avec un long-métrage captivant, truculent et émouvant.
Photo : L'Inconnu de la Grande Arche © 2025 Agat Films - Le Pacte
La Fille au Bracelet et Borgo avaient installé Stéphane Demoustier dans la catégorie des artisans consciencieux et compétents. Sa nouvelle réalisation nous incite à réévaluer à la hausse son profil. Après le thriller judiciaire et le polar carcéral, il s'intéresse à la création et à la construction de la Grande Arche de la Défense. Un projet architectural lancé par François Mitterrand en 1983 et confié à la faveur d'un concours, à un inconnu, le Danois Otto von Spreckelsen.
Douce France
Le cinéaste entreprend un film moins codifié par le genre que ses précédents efforts, mais s'intéresse également à un sujet qui l'anime plus intimement. L'Inconnu de la Grande Arche (adapté du roman minutieux de Laurence Cissé) se nourrit d'abord des grandes utopies qui constituèrent le premier septennat de François Mitterrand. Fort de dialogues inspirés, il nous immerge d'abord par la légèreté, croquant les personnages en une phrase ou en un détail. Il bénéficie d'une distribution hétéroclite dont le brassage culturel et la diversité rappellent au cinéma populaire européen des années 60 et 70. Mentions spéciales pour Claes Bang, silhouette imposante et inhabituelle révélée dans The Square, et à Michel Fau, jubilatoire dans le rôle du président. La reconstitution sobre et crédible d'un Paris de 1983 nous plonge dans une période d'émulation culturelle (érection de la Défense, mais aussi de la Pyramide du Louvre). Tel un architecte, le cinéaste joue avec les perspectives et la profondeur de champ. Le format d'image carré et la géométrie dictent des cadres précis et millimétrés.
La folie des grandeurs
L'Inconnu de la Grande Arche dépeint un héros perfectionniste, mégalo, qui n'hésite pourtant pas à demander de l'aide à ses pairs. L'artiste est seul avec ses idéaux, tiraillé entre des forces aux intérêts contraires. Le comique des débuts se mue en tragédie lente et puissante. Tout n'est qu'affaire de concessions : du choix des matériaux, aux normes à respecter, en passant par un changement de cap politique. Ce film sur l'intransigeance créative utilise l'architecture comme un miroir du cinéma, où l'aventure collective se compose d'une somme d'individualités contraintes de devenir une équipe. Il observe aussi une période de la vie politique française à l'écho aussi troublant que contemporain. Le romantisme cède brutalement sa place au pragmatisme, amorçant le virage ultralibéral, le désengagement de l'État dans ses services publics et une inéluctable privatisation progressive. Durée concise, capacité à ne se laisser déborder sur aucun front, aucun ton, aucun genre, Stéphane Demoustier signe une œuvre captivante laissant ponctuellement place à la sidération (la découverte du marbre en Toscane) et à l'émotion. Une très belle surprise !
L'Inconnu de la Grande Arche
De Stéphane Demoustier (France, Danemark, 1h46) avec Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Michel Fau, Swann Arlaud, Xavier Dolan... En salle le 5 novembre 2025.
