Fin du Woodstower : « cela doit être un signal d'alerte »

Publié Lundi 1 décembre 2025

Festival / Le festival lyonnais a perdu ses repreneurs potentiels et devra passer seul devant le tribunal de commerce le 9 décembre prochain. Une disparition majeure en perspective, qui dessine les contours d'un paysage des musiques actuelles en plein bouleversement.

Photo : Festival Woodstower 2024 au Grand parc de Mibiribel Jonage © Brice Robert

« En l'état, on va devoir faire une croix sur l'édition 2026 du Woodstower », a déclaré Maxime Noly, directeur général de Woodstower en cette fin du mois de novembre. C'est le média indépendant Rue89Lyon qui l'a annoncé : l'événement culte de l'été lyonnais, qui avait fêté ses 26 ans en juillet dernier après avoir revu l'intégralité de sa proposition, n'aura finalement pas réussi à trouver de repreneur et passera devant le tribunal de commerce dans le cadre de sa procédure de redressement judiciaire le 9 décembre prochain.

Né en 1997, l'événement pionnier en matière d'écoresponsabilité qui a vu défiler Pete Doherty, Archive, Svinkels, NTM, Étienne de Crécy, Groundation, Keziah Jones... avait tenté un changement de braquet pour son édition 2025. Après des débuts à La Tour-de-Salvagny jusqu'en 2003, puis une installation au Grand Parc de Miribel-Jonage, le festival avait finalement dû migrer vers le Parc de Gerland, dans le 7ᵉ arrondissement de Lyon.

Les éditions des dernières années avaient été marquées par des difficultés financières significatives. En 2023, des intempéries et le manque d'affluence avaient entraîné un déficit de 350 000 €. Faute de public, les organisateurs avaient aussi dû annuler la deuxième édition du Wintower, le pendant hivernal prévu aux Halles Tony Garnier. L'année d'après, pour la 25ᵉ édition, le Woodstower n'avait attiré que 20 000 festivaliers - un chiffre bien en deçà des espérances du festival qui, confronté à la hausse des coûts et des cachets, se doit d'assurer des taux de remplissage avoisinant les 100%. Avec des dépenses s'élevant à 1, 9 millions d'euros, le déficit avait alors atteint 600 000 €, compromettant la viabilité de l'événement.

Plutôt que de jeter l'éponge, l'association avait alors opté pour une procédure de sauvegarde judiciaire. Cette stratégie avait permis de geler les créances sur un an tout en préservant les emplois, tandis que l'édition 2025 avait été délocalisée à Gerland et décalée à juillet. Celle-ci avait su trouver son public même si la jauge espérée n'avait pas été atteinte, et l'équilibre financier non plus : il a manqué environ 4 000 billets pour combler le budget de 1, 7 millions d'euros.

Un bref espoir

Placé en redressement judiciaire depuis le 9 septembre, le festival est allé chercher des repreneurs potentiels : deux dossiers ont été déposés au tribunal. Le premier, par le groupe médiatique lyonnais dirigé par François Sapy : Rosebud. Le second, par un triumvirat composé par le Ninkasi, Nomad kitchens (à l'initiative du Lyon street food festival) et Izypay (un service de billetterie). « On était très confiants », raconte Maxime Noly : « on a planché sur la faisabilité du projet pendant deux mois, on avait déjà franchi pas mal d'étapes ». Rosebud a été le premier candidat à se retirer de la course, il y a une quinzaine de jours, « faute de fonds », d'après Maxime Noly. Il a déclaré avoir été davantage surpris lorsque le triumvirat s'est à son tour retiré de la course : « les trois structures ont des activités complémentaires entre elles, et avec nous. Les synergies paraissaient évidentes et les risques financiers, divisés en trois, étaient moins importants. Je crois qu'ils ont été surpris par le risque financier que cela représentait, d'autant plus dans ce contexte économique contraint et inquiétant pour tout le monde », détaille le directeur général.

Qu'en est-il des mastodontes de l'industrie, pourquoi ne se sont-ils pas positionnés ? Maxime Noly déclare avoir été démarché par certains acteurs majeurs du secteur, sans pour autant qu'ils ne donnent suite.

Emmanuel Négrier est directeur de recherche au CNRS et responsable du Centre d'études politiques et sociales de l'université de Montpellier. Il a notamment co-écrit Festivals, territoire et société. Interrogé par Le Petit Bulletin, il l'évoquait déjà en 2023 : les festivals de taille moyenne ne sont pas lucratifs, contrairement à ceux, énormes, « qui arrivent à tirer leur épingle du jeu car ils ont des audiences tellement énormes qu'ils amortissent un peu mieux les cachets et la hausse des coûts ». On peut d'ailleurs rappeler les vagues de rachats de festivals dans les années 2018-2019, par des opérateurs tels que Live nation, AEG et Vivendi... qui ont fini par se solder par des reventes, jusqu'en 2023. Vivendi, par exemple, avait justifié ce rétropédalage par la « trop faible taille internationale » de la plupart de ses festivals.

Woodstower 2024 © Brice Robert

La potentielle disparition du Woodstower ne surprend pas, elle fut évoquée à plusieurs reprises dans les pages du Petit Bulletin, notamment au regard des lancements consécutifs de nouveaux événements concurrents sur le territoire. Des festivals à l'économie 100% privée, aux esthétiques proches (hip-hop, pop, electro) aux nombreuses têtes d'affiches et prévus durant la période estivale : le Golden coast à Dijon, porté par le groupe Combat Media (détenu par Matthieu Pigasse), le Brunch Electronik au Grand Parc de Miribel-Jonage, détenu par Live Nation, Hypnotize, lui aussi au Grand Parc de Miribel-Jonage, porté par Fever... auxquels il faut aussi ajouter la concurrence des stades, on y retrouve d'ailleurs des acteurs proches ou similaires à la programmation d'événements, qui détiennent toute la chaîne de production : des catalogues d'artistes, des salles, des solutions de billetteries, et même parfois des maisons de disque.

À l'achèvement de l'OL Vallée (Groupama stadium et LDLC Arena) et tandis que les projets de nouvelles salles de concerts privées se multipliaient à Lyon, plusieurs professionnels du secteur avaient insisté sur la nécessité de faire intervenir les collectivités, que celles-ci jouent un rôle de garde-fou et empêchent la venue d'un acteur exogène si cela risque de nuire à un événement accompagné par des subventions publiques. Le Petit Bulletin avait interrogé Cédric Van Styvendael, vice-président à la culture de la Métropole, qui avait évoqué la nécessité de « lancer rapidement un "diagnostic 360" sur l'offre et la programmation culturelle sur la métropole, notamment autour des lieux dédiés aux concerts et à la musique, car c'est sur ce secteur-là que la concurrence est la plus tendue ». Depuis, pas de nouvelles.

Et après ?

« Il y a un projet culturel politique et territorial à définir pour les musiques actuelles si on veut garder un écosystème local, sinon, on risque de ne bientôt plus trouver sur le territoire que des acteurs privés, exogènes et aux logiques capitalistes. L'arrêt du Woodstower doit être un signal d'alarme », conclut Maxime Noly qui évoque l'hécatombe de festivals dans la région proche et moins proche. Nous comptions déjà les disparus cet été avec ceux qui avaient (au moins) pris une année de pause (le Horse field festival, le festival Oh Plateau !, le Madcow festival, le festival Loupoulo, le Big band festival, le JazzFest' Chiroubles...), ceux qui n'avaient tout simplement pas donné de nouvelles pour 2025 (le festival Cocotte, les Estivales de Saint-Galmier, le Mondor festival...) et ceux qui avaient mis la clé sous la porte (le Crussol festival, le Vercors music festival). Pour l'été 2026, le No logo et le Reggae sun ska ont déjà annoncé au moins sauter une année, tandis que le Festival de la paille et Les pluies de juillet ont annoncé leurs ultimes éditions. La désertification est belle et bien en cours.

Interrogé il y a quelques mois, Stéphane Krasniewski (président du Syndicat des musiques actuelles (SMA) et directeur du festival Les Suds à Arles) avait risqué une comparaison avec nos voisins directs : « En Angleterre et en Belgique, ce sont des centaines de festivals qui ont disparu comme ça. Ceux qui ont survécu à cette purge sont ceux qui se sont adossés à des groupes qui pratiquent des logiques de prix dynamiques, des services à la demande comme des distinctions sociales au sein des événements par exemple. Il faut se poser la question de ce que l'on veut chez nous. »