Pôle pixel : « Nous sommes passés de l'accueil de tournages à l'accompagnement d'un écosystème »

Publié Mercredi 17 décembre 2025

Audiovisuel / À la tête du Pôle pixel depuis 2018, Géraldine Farage accompagne sa transformation. Entre label France 2030, montée en puissance de l'IA et contraintes budgétaires, elle détaille la stratégie pour préserver un modèle vertueux reliant cinéma, jeu vidéo et spectacle vivant.

Photo : Géraldine Farage © DR

Le Petit Bulletin : Depuis le Studio 24, lieu dédié ou tournage et à la répétition pour le cinéma et la télévision créé à Villeurbanne par Roger Planchon en 2002, le Pôle pixel a connu plusieurs vies. Quelle est son identité actuelle ?

Géraldine Farage : Il y a eu trois époques. La première, celle de Roger Planchon et de Rhône-Alpes Cinéma, était centrée sur l'accueil de tournages de longs métrages. La deuxième phase s'est articulée autour de la série Kaamelott, qui a élargi la filière vers la publicité, le jeu vidéo et un écosystème plus vaste. En 2015, l'animation du site et du projet commun a été confiée à l'association Pôle Pixel, tout juste créée, avec la volonté de fédérer les résidents et les partenaires autour d'une dynamique associative partagée. Depuis mon arrivée en 2018, nous sommes dans une phase d'accompagnement dans une logique de tiers-lieu avec près de 400 professionnels des images, du son et des arts numériques [des studios d'animation aux équipes de post-production, en passant par les créateurs d'arts hybrides, techniciens, graphistes ou studios de jeu vidéo ndlr]. Nous avons sondé leurs besoins pour structurer notre offre autour de trois axes : le développement de réseau (partenaires, financeurs), la montée en compétence (RSE, IA) et l'accès à l'immobilier. 

LPB  : Vous insistez sur la nécessité d'ouvrir la filière des métiers du cinéma, de l'audiovisuel, du jeu vidéo et plus largement des industries culturelles et créatives à ceux qui ne viennent pas d'écoles reconnues. 

GF : Notre rôle est de créer ces passerelles, car les métiers liés au cinéma ne doivent pas rester dans un entre-soi réservé à ceux issus des grandes écoles. Un exemple reste le tournage de Kaamelott : nous avons permis à des élèves du collège du Tonkin d'y venir en immersion. Nous sommes là pour faciliter ces premiers contacts et offrir des expériences concrètes à ceux qui n'ont pas les moyens d'accéder à ces formations reconnues. 

LPB  : Vous avez refondu le programme "Parcours de pixel" qui est un parcours d'accompagnement et de formation aux acteurs de la filière image et industries créatives pour 2025. Pourquoi ?

GF : C'est né du constat que les professionnels des secteurs de l'image, du son, du jeu vidéo et des arts numériques n'avaient pas tous le temps de s'impliquer dans des formations jusqu'au bout, mais souhaitaient des formations à la carte. Nous avons ouvert plusieurs types de modules, par exemple certains sont courts et intensifs (administratif, etc.), tandis qu'un autre dure neuf mois avec un mentor. Nous faisons cela grâce à plusieurs formats sur l'animation, l'audiovisuel, et les arts hybrides avec des partenaires comme France travail scènes et images ou l'association Game only (réseau régional dédié aux acteurs du jeu vidéo, ndlr). Nous faisons aussi de l'incubation, de la formation, de l'EAC et petit à petit, de l'accompagnement en résidence.

Pôle pixel © DR

LPB  : Quel est votre modèle économique ?

GF : Nous sommes à 50 % de financement public et à 50 % de financement propre (formation, appels à financeurs). Cela représente 1, 350 million d'euros pour l'année 2025. C'est ce savant mélange qui nous permet de nous développer. Les baisses de moyens publics nous touchent, mais pour l'instant, nous réussissons à nous maintenir. C'est lié au fait qu'il n'y a pas beaucoup d'autres structures existantes comparables au Pôle pixel sur le territoire. L'enjeu n'est pas d'aller vers un système libéral, mais de préserver nos dispositifs d'accompagnement. On ne fait jamais rien tout seul : on s'associe pour penser notre modèle économique autrement. Ce n'est pas dans une manière concurrentielle et marchande, mais contributive. Nous cherchons le prix juste, sans en tirer une marge, pour trouver un modèle vertueux dans la logique de l'ESS (économie sociale et solidaire, ndlr). Notre mission est aussi d'aider les professionnels à obtenir tel ou tel financement et à passer les portes des producteurs ou des diffuseurs.

LPB : L'intelligence artificielle (IA), la 3D temps réel et les nouveaux outils changent les pratiques. Quels besoins concrets font remonter vos résidents ?

GF : Le 3D temps réel (technique permettant la visualisation des objets en 3D de manière instantanée) monte en puissance depuis trois ou quatre ans. Ces compétences, issues du jeu vidéo, sont très intéressantes car elles multiplient nos champs d'action. Elles changent les étapes du tournage : ce qui était en post-production passe en pré-production. Cela permet de créer des décors fictifs réalistes et de les conserver pour être réutilisés plus tard. Quant à l'IA, c'est un mot qui recouvre plusieurs sujets qu'il convient de dissocier. D'un côté, c'est un outil très utile qui permet de gagner en temps, notamment sur l'aspect administratif. De l'autre, il s'agit d'une innovation qui vient perturber énormément l'activité de commande des studios (publicité, sous-traitance). Aujourd'hui, les rémunérations de nombreuses activités sont nivelées par le bas à cause de l'IA. On doit amener les professionnels à distinguer les logiciels profitables de ceux qui sont pour nous non vertueux. Je pense à certaines IA qui pillent les identités visuelles. 

Pôle pixel © DR

LPB : Le Pôle pixel est actuellement candidat à la deuxième phase de l'appel à projet France 2030  lancé par le ministère de la Culture "Pôle territorial d'industries culturelles et créatives " (ICC). Que changerait cette reconnaissance  ?

GF : Nous portons cette candidature au sein d'un consortium réunissant la Ville de Villeurbanne, mais aussi BK International (entreprise spécialisée dans la conception et la création de spectacles vidéos et d'expériences immersive), la Société villeurbannaise d'urbanisme (SVU), le Théâtre national populaire (TNP), l'association Festivals connexion, et Game only. Nous sommes lauréats de la première phase et ce projet est essentiel pour consolider et développer notre modèle associatif. Notre projet de pôle territorial ICC repose sur six grands axes : l'immobilier avec la SVU, une société de coproduction d'œuvres, l'incubation et la recherche de financements européens. L'idée est de construire ensemble une stratégie de diversification de nos budgets.

LPB :  L'un de vos partenaires historique, le TNP traverse une période de transition avec le départ de Jean Bellorini annoncé pour 2026. Le 17 octobre dernier, la ministre de la Culture Rachida Dati en visite à Villeurbanne a évoqué un rapprochement entre vos deux structures et cela a suscité des interrogations en interne. Pouvez-vous nous l'expliquer ?

GF : Nous avons en effet une histoire commune avec le TNP dont Roger Planchon était le directeur. La collaboration reste naturelle, notamment sur la question des coproductions mêlant image en mouvement et spectacle vivant, un champ que nous souhaitons vraiment développer, un peu comme le projet Écran rouge qui associe les Célestins, Tchik tchik productions et la Cinéfabrique lancé en 2019.

Cependant, la période est clairement peu propice pour acter des engagements forts. L'équipe du TNP est dans une phase de transition, attentive à ne pas se projeter trop vite alors que leur futur pilotage n'est pas encore stabilisé. Cela a pu créer des crispations ou des inquiétudes, notamment quand la ministre a pu évoquer un rapprochement structurel. Certains ont cru à l'idée d'une fusion, ce qui n'a jamais été envisagé de notre côté. Aujourd'hui, nous travaillons à une forme de gouvernance partagée autour du projet France 2030, dans laquelle le TNP a toute sa place. Les choses devraient désormais pouvoir avancer plus sereinement.

LPB  : Quelle place prendra la programmation culturelle et l'ouverture au public d'ici 2030 ?

GF : Nous n'avons pas encore les moyens de produire une grande exposition comme « Effets spéciaux, crevez l'écran ! » qu'on a portée en 2021. Pour l'instant, nous accueillons des événements ou des prestations ponctuelles : Fever, les Nuits de Fourvière, la Biennale, ainsi que certaines structures extérieures qui utilisent nos studios. Mais si le label ICC France 2030 est confirmé, nous pourrons aller plus loin et créer un vrai pôle de médiation autour des œuvres numériques, développer des journées de découverte et installer un showroom permanent de réalité virtuelle à destination des professionnels et de l'éducation nationale.