Piers Faccini, « jouer, c'est danser dans le temps »
Entretien / Vingt ans après leur première collaboration, Piers Faccini et Ballaké Sissoko se retrouvent avec "Our calling", un album où guitare et kora se parlent d'égal à égal. À quelques jours de leur concert à l'Opéra underground, le chanteur italo-anglais, cévenol d'adoption, revient sur cette géopoétique de la rencontre.
Photo : Piers Faccini & Ballaké Sissoko © Sandra Mehl.jpg
Le Petit Bulletin : L'amitié musicale avec Ballaké Sissoko remonte à plus de vingt ans. Pourquoi avoir autant attendu pour écrire et jouer ce premier album ?
Piers Faccini : Je crois profondément que les choses doivent mûrir avant d'advenir, car tout est une question de moment. Pendant des années, nous étions tous deux pris par d'autres projets. Our calling n'est pas le fruit d'une rencontre superficielle, mais d'un vrai dialogue musical. Je ne voulais surtout pas que Ballaké s'adapte à ma manière d'écrire des chansons : c'était à moi d'entrer dans sa langue musicale. La musique mandingue est un langage à part entière, avec ses modes, ses subtilités. Pour pouvoir converser librement, il faut des années. Cet album a donc attendu son heure : il fallait que nous soyons prêts à parler la même langue.
LPB : L'idée de migration, non seulement comme thème, mais comme une manière de penser et respirer la musique, traverse tout l'album. Que signifie-t-elle pour vous ?
PF : Migrer, c'est aller vers l'autre. Dans la nature, le rossignol a deux maisons sur deux continents : il voyage, tout simplement. Les humains ont longtemps vécu ainsi, avant que les frontières et la sédentarité n'imposent leurs limites. La musique, elle, doit survoler au-dessus de ces frontières-là, restant libre, dialoguant et acceptant l'autre.
LPB : Dans vos morceaux, guitare et kora semblent dialoguer sans jamais se confondre. Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?
PF : J'ai adapté ma guitare à la voix de la kora. Quand Ballaké prend la ligne mélodique principale, ma guitare maintient l'assise rythmique du morceau. J'utilise des accordages ouverts, loin des standards occidentaux, pour que mon jeu épouse ses phrasés. Ce dialogue, cette harmonie, repose sur une danse : chaque instrument trouve sa place, comme dans une conversation où l'on s'écoute vraiment.
LPB : Votre musique semble habitée par le silence et la retenue. S'agit-il de la condition nécessaire pour laisser la musique continuer à parler elle-même ?
PF : Le silence est essentiel : il rend la note juste, la phrase juste. L'art de la musique africaine a cette science du vrai : chaque note doit être authentique, convenir parfaitement à ce qui doit être dit et être ancrée dans le temps.
Jouer, c'est danser dans le temps. Pour qu'une note soit vraie, elle doit venir naturellement, sans artifice. Comme le dit souvent Ballaké : « Je ne sais pas ce que je vais jouer avant de le jouer ». La musique vient...ou elle ne vient pas !
LPB : Vous aimez beaucoup la pensée de la philosophe Vinciane Despret, qui parle du chant des oiseaux comme d'une manière d'habiter un territoire. Cela résonne avec votre travail, non ?
PF : Absolument. Une chanson, c'est un espace à habiter. Le rythme, les intervalles, la structure forment une architecture dans laquelle le musicien prend place. Créer, c'est construire un abri sonore : donc habiter en oiseau ou habiter en musique.
LPB : Le titre de l'album semble à la fois spirituel et concret. Comment l'avez-vous choisi ?
PF : Je voulais un titre multiple, ouvert. Calling signifie à la fois "vocation" et "appel" ou "langage". C'est notre vocation, mais aussi notre conversation. Ballaké est né dans une lignée de griots, moi, je suis un autodidacte. Pourtant, chacun à sa manière, nous avons répondu à un même appel : celui de la musique.
LPB : Un nouvel EP, When the word was song, sortira deux jours après le concert. Quelle est sa place dans votre dialogue ?
PF : C'est comme un appendice, une respiration. Les deux faces des vinyles posent une contrainte temporelle : celle de ne pas dépasser les quarante minutes environ et donc certains morceaux restent de côté. Cet EP réunit des titres que nous aimions beaucoup, mais qui n'avaient pas trouvé leur place sur Our calling. C'est aussi une façon d'accompagner la tournée, de faire vivre le projet autrement, tout en restant dans cette même continuité de partage.
LPB : L'album a été enregistré en cinq jours seulement. Pourquoi cette rapidité ?
PF : Parce que nous voulions saisir la première étincelle. Nous nous sommes rencontrés trois ou quatre fois, répétant juste assez pour que la conversation soit naturelle, puis avons tout enregistré en direct, côte à côte. La magie naît dans l'instant : trop de répétitions la font fuir. Ballaké partage cette approche.
LPB : Le label No format! semble répondre à une nécessité d'hospitalité musicale. De quelle manière cette communauté a-t-elle nourri votre rapport entre liberté et appartenance ?
PF : Ce que j'aime beaucoup chez No format!, c'est qu'on y sent toujours les conversations. Pour moi, la musique, c'est avant tout un dialogue : entre mon écriture et ceux avec qui je joue. J'ai toujours été un éternel étudiant, curieux de rencontrer d'autres musiciens, d'autres traditions, d'autres continents. Que ce soit avec Ballaké, Malik Ziad, ou encore avec la joueuse palestinienne de qanûn Christine Zayed, j'essaie toujours de trouver une façon profonde de dialoguer. Beaucoup d'albums du label que j'admire reposent sur cette même idée : une conversation sincère entre des mondes. Il était donc très naturel pour moi de continuer à collaborer avec No format!, parce que cette maison incarne exactement ce que je cherche en musique : une liberté nourrie par l'écoute de l'autre.
Ballaké Sissoko et Piers Faccini
Mercredi 19 novembre 2025 à 20h à l'Opéra underground (Lyon 1er) ; de 11 à 35€

