Des trésors dans nos cités : Le Tonkin, Les Minguettes, La Duchère...

Publié Mercredi 17 décembre 2025

Patrimoine / Avec l'exposition "Voyages en cité. 1973-1990 : vivre dans les quartiers populaires", la cité-musée Tony Garnier redonne vie à 20 ans de l'histoire des sept quartiers lyonnais qui - en dépit des discours les diabolisant - furent le cœur battant du renouveau créatif, social et politique de la métropole. Providentiel en cette période.

Photo : Animation boxe organisée par la Maison des jeunes et de la culture, septembre 1990, photographie N & B, collection Archives municipales de Vaulx-en-Velin © D.R.

« On a intitulé l'exposition "Voyage en cité" pour juxtaposer le terme de "cité" qui véhicule des représentations parfois négatives, avec celui de "voyage" qui induit quelque chose de plus poétique », introduit Cécile Capelle, directrice du musée. On se souvenait de l'exposition, Les jours heureux - Archéologie des Trente glorieuses qui, déjà, reliait avec cohérence les modes de vie avec l'habitat via une muséologie croisant panneaux explicatifs, objets du quotidien et maquettes. Après les Trente glorieuses, c'est au tour des années 1973 à 1990 d'être explorées, en ajustant la focale non plus sur tout le pays, mais sur sept territoires lyonnais. Le propos est situé, ancré, dans des paysages que beaucoup ont habité ou parcourus : le quartier des États-Unis, évidemment, mais aussi La Duchère, Terraillon à Bron, Rillieux-la-Pape, la ZUP Grande-Île à Vaulx-en-Velin, la ZUP des Minguettes à Vénissieux et Le Tonkin à Villeurbanne.

Construction des Trois Mâts, avril 1974, photographie N & B, 1970, collection Archives municipales de Vaulx-en-Velin © D.R.

Chroniques de la crise urbaine

Alors qu'on déambule dans le dédale de petites salles retraçant la vie des grands ensembles, c'est avant tout un sentiment de proximité, de familiarité qui nous frappe. D'une part car l'exposition invoque l'émergence de disciplines culturelles aujourd'hui majeures dans les pratiques des Français·es : le rap, le hip-hop, le breakdance, le tag et le graffiti. D'autre part, celle-ci met en exergue l'affleurement de ce qu'on a pu nommer - et qu'on nomme encore - "le malaise des banlieues", tantôt oubliées par les politiques publiques, tantôt obsessions de certain·es éditorialistes. « La stigmatisation territoriale façonne les vies » a écrit Loïc Wacquant dans le salvateur Parias urbains, Ghetto, banlieues, État. Une sociologie comparée de la marginalité sociale (aux ed. La Découverte, 2006). En France, cette ségrégation est devenue criante dans les années 1970. Choc pétrolier, crise de l'emploi, exode agricole et rural... ont agi en déflagration sur les grands ensembles construits à toute vitesse durant l'après-guerre. À l'espoir de cités confortables - parfois même futuristes - des débuts, a succédé la désillusion. Le sentiment d'assignation à résidence s'est accentué dans les années 1980 tandis qu'encouragé·es par des politiques nationales, les plus fortuné·es se sont échappé·es vers les pavillons. Les pauvres, pour une forte proportion issus de l'immigration, sont restés dans ces fameuses cités, supposément infréquentables. La Grappinière (Vaulx-en-Velin) a été le théâtre de premières "violences urbaines" en 1979, qui furent suivies de "l'été chaud des Minguettes" (Vénissieux) en 1981 avant les très médiatisées émeutes du Mas du Taureau (Vaulx-en-Velin) en octobre 1990.

Loin de dresser un sinistre tableau de cette période, l'exposition donne aussi à voir les dynamiques positives à l'œuvre dans ces grands ensembles. Bon nombre d'entre elles sont citées, illustrées, explicitées dans l'exposition : les actions culturelles, la riche vie associative, les mouvements citoyens pour défendre les intérêts des habitants, en évoquant évidemment des exemples cultes tels que la marche pour l'égalité et contre le racisme, initiée par les jeunes de SOS Avenir Minguettes.

On a pensé la cité

On n'y oublie pas non plus de questionner le rôle de l'État, abordant les évolutions de planification urbaine, de la circulaire Guichard de 1973 actant l'arrêt de la construction des grands ensembles, aux programmes censés enrayer les processus de dégradations physiques et de marginalisation de la population dans ces derniers. Plusieurs quartiers ciblés par l'exposition ont d'ailleurs fait office de laboratoire pour le ministère de la Ville, fondé en 1990.

©LS/PetitBulletin

Il est bon de voir, dans une logique se rapprochant de celle du "patrimoine du quotidien" une mise en valeur de ces ensembles, dont un certain nombre sont amenés à disparaître. On peut penser à l'urbanisme de dalle du Tonkin qui permit l'éclatement de la rue en plusieurs niveaux, séparant les habitant·es des voitures et créant des nœuds de rencontres autour des commerces de proximité. La Dalle des Samouraïs, par exemple, est aujourd'hui remise en question à l'aune de préoccupations sécuritaires. L'héritage théorique des frères Bentham serait-il en train de l'emporter face à celui de Tony Garnier ?

C'est à la fois un bel hommage et un objet de réflexion accessible qu'offre le musée fondé en 1992 sur nos cités grand-lyonnaises. Le logement social, les problématiques de mal-logement, ou, plus simplement, les grands ensembles ne sont que trop peu au cœur d'expositions patrimoniales qui les valorisent, les mettent en regard et les questionnent. Des œuvres plastiques et des illustrations accompagnent d'ailleurs la déambulation, offrant encore une autre manière de décentrer notre regard sur le sujet. Un agenda culturel creusant différentes thématiques de l'exposition devrait se dessiner en début d'année 2026.

Voyages en cité. 1973-1990 : vivre dans les quartiers populaires
Du 28 novembre 2025 au 18 décembre 2027 à la cité-musée Tony Garnier (Lyon 8e) ; de 0 à 8€