Le réel, pris de travers : Jules Berthonnet à la galerie Tator
Dessin / Entre évocations modernistes et invention fantasque, les œuvres de l'artiste limougeaud creusent une zone instable où l'image reformule le visible en l'entraînant hors de ses coordonnées usuelles.
Photo : Jules Berthonnet, Le rêve de Sandy Calder, partie 2, pilot V-ball 1.0mm sur papier brouillon, 2025 © David Desaleux
Les dessins de Jules Berthonnet ne se présentent pas comme des images closes, mais comme des agents actifs, capables de fissurer l'ordre visuel dans lequel nous évoluons. À un premier regard hâtif, pressé de les ranger dans une case, les dessins semblent rendre hommage à ces sculptures des années soixante et soixante-dix qui parsèment nos espaces publics, des jardins municipaux aux halls d'immeubles. Dans cette évidence repose un mouvement qui fait de l'aspect mimétique le lieu de la subversion de sa propre injonction : dévié, travaillé par une énergie d'excès.
Ce que les feuilles accueillent n'est donc pas un imaginaire familier préalablement constitué, mais empoigné, déplacé, rendu finalement méconnaissable. Les formes surgissent selon une structuration que l'on pourrait définir comme délirante, saturée, presque insolente, opérant comme une véritable dialectique entre signe et fantasmagorie : le signe tente d'ordonner, l'imaginaire déborde, et de leur friction naît une liberté nouvelle.

Ce qui survient quand la forme s'émancipe
De ce fait, le bizarre ne choque jamais mais s'impose comme parfaitement plausible, tant le réel s'avère contaminé par le fantastique avec une logique interne implacable.
Les dessins exposés ne sont pas des surfaces qui enregistrent mais des dispositifs qui produisent des états, des situations perceptives instables où le regard cesse d'être spectateur pour devenir co-acteur. Ils modifient notre manière d'habiter la réalité, en forçant la perception à accepter ce qui, ailleurs, n'aurait pas droit de cité.
L'œuvre graphique de Jules Berthonnet n'est donc pas un monde imaginaire projeté dans le réel, mais un réel déplacé de l'intérieur, où la prolifération des formes agit comme une force d'émancipation, un moyen de redessiner la place de l'image dans notre vie mentale et collective.

Songes de Cobalt par Jules Berthonnet
Jusqu'au 23 janvier 2026 à la galerie Tator (Lyon 7e) ; entrée libre

