Saturn et le dévorement du réel

Publié Lundi 6 octobre 2025

Art contemporain / L'artiste belge Emmanuel Van der Auwera met en tension la matière des images, les affects du deuil et la dérive de la post-vérité à travers un parcours saisissant qui investit les espaces du CAP de Saint-Fons.

Photo : Emmanuel Van der Auwera, L.P. (titre provisoire), 2025. Vue de l'exposition « Saturn », CAP, Saint-Fons, 2025 ©Blaise Adilon

L'entrée se fait dans un éclat d'écran, une clarté trop blanche pour être neutre. L'installation vidéo qui domine la première salle ne livre rien dans sa totalité : ni le visage, ni l'image, ni même la certitude d'un regard partagé. Leonard Pozner, dont l'entretien constitue le cœur du dispositif, n'apparaît que par intermittence. Ses traits se dissolvent et se diffractent dans la lumière, insaisissables, tandis que dans ses mots affleure l'écho d'un drame personnel et collectif, celui de la fusillade de l'école Sandy Hook en 2012 : 26 victimes, y compris son fils, Noah. Le réel a vacillé là une première fois dans le sang, une seconde dans le doute, lorsque les discours conspirationnistes ont commencé à nier l'existence même des victimes.

Le couloir et la peur

La photographie d'une porte bloquée par une ceinture - geste anodin et tragique - et des moulages d'impacts de balles matérialisent dans la deuxième salle la violence dans sa forme la plus nue. Le couloir qui s'ouvre juste après, à l'architecture triviale d'une école, agit comme un purgatoire : le silence, fendu par de bruits, laisse surgir les empreintes et les cicatrices du réel.

Emmanuel Van der Auwera, Ballistic Gel I, 2025. Vue de l'exposition « Saturn », CAP•Saint-Fons, 2025 ©Blaise Adilon

Saturne versus l'éthique du regard

Le dernier espace, presque gymnique, accueille Saturn, documentaire paradoxal où images d'archives retravaillées par l'intelligence artificielle, voix réelles et simulacres se mêlent en une boucle sans issue. Les exercices de sécurité dans les écoles américaines prennent la dimension d'un rituel collectif : on y répète le désastre pour conjurer à la fois la mémoire et sa possible répétition.

Dans la tension entre le visible et son effacement, entre l'archive et son simulacre, Van der Auwera semble dessiner la nécessité d'une éthique du regard. Si Saturne avale ce qu'il enfante, créant ainsi un temps circulaire qui se répète, s'autoalimente et s'autodétruit, l'exposition intervient pour restituer à l'acte du regard sa puissance de rupture et de résistance. Regarder, ici, c'est rompre un instant la circularité du visible ainsi que de son dévorement perpétuel.

Emmanuel Van der Auwera, Saturn, 2025. Vue de l'exposition « Saturn », CAP•Saint-Fons, 2025 ©Blaise Adilon

Saturn par Emmanuel Van der Auwera
Jusqu'au 29 novembre 2025 au CAP de Saint-Fons ; entrée libre

Emmanuel Van der Auwera

Vernissage le 20 septembre de 15h à 20h. À travers ses Vidéosculptures et ses dispositifs filmiques, Emmanuel Van der Auwera explore les mécanismes de production et de circulation des images ainsi que la représentation d’événements médiatiques ou historiques à l’ère de la post-vérité et de l’intelligence artificielle.