Les dérives sonores de Water from your eyes au Sonic
Art rock / À bord de la péniche du quai des étroits, Water from your eyes laisse affleurer avec ses éclats 90's irisés, sa spectralité elliptique, pour un concert où le trouble des sons répond à la dérive des temps.
Photo : Water from your eyes ©Adam Powell
Si le duo newyorkais formé par Rachel Brown et Nate Amos n'a jamais caché sa passion pour l'esthétique des années 90, ces derniers refusent la simple réactivation nostalgique. Leur musique fabrique un passé alternatif, parfois rêvé, parfois déconstruit, mais constamment traversé par cette iridescence étrange qui fait scintiller une rugosité authentique, où le lo-fi imprime sa clarté trouble.
L'ellipse comme méthode
Oscillant entre l'ironique et l'évocatoire, en une dizaine d'années le groupe a su constituer une discographie pointue et particulièrement hétérogène, doublée par une production remarquablement expansive de leurs projets solos, avec plus d'une centaine de sorties sous les doppelgänger de This is Lorelei et Thanks for coming.
Paru à la fin du mois d'août, It's a beautiful place s'inscrit à la fois dans la continuité de cette réarticulation du passé et dans l'incessante métamorphose du duo. Le disque se construit en suivant une logique fragmentaire ; ici l'ellipse n'incarne pas seulement une figure de style, mais une pratique d'écriture. Les morceaux avancent par retraits plutôt que par accumulations, ménageant des vides où l'oreille croit percevoir des rémanences. Cette économie de moyens, loin de simplifier le propos, le rend plus poreux, ouvrant des zones d'interprétation, invitant à circuler dans les interstices.
Sci-fi intérieure
Cultivant une spectralité qui brouille les frontières entre voix, instruments et bruit d'arrière-monde, la musique de Water from your eyes semble dépeindre la bande son d'un récit sci-fi. Empreint de la lecture des œuvres d'Ursula K. Le Guin et de Marcello Tarì, l'album restitue l'imaginaire utopique à travers des textes performatifs et des paysages sonores tantôt abrasifs, tantôt synthétiques, tantôt dépouillés. Laissant résonner le positionnement d'un existentialisme cosmique, l'aspect fantomatique du groupe agence une narration inquiète mais non dénuée d'espoir. Oui, notre monde traverse une phase tragique, mais face aux drames et aux ruines contemporaines, Brown et Amos maintiennent une lucidité qui ne renonce pas à l'émotion. Peu importe la puissance mortifère appliquée par les pouvoirs : ce qui compte est de s'insinuer dans les failles, dans les fissures, suivant les traces d'une beauté conçue comme intervalle et donc inextinguible. Au même titre que celle dépeinte par la pochette de It's a beautiful place, immergée dans l'océanique International Blue Klein : immatérielle, transcendante et radicale.
Water from your eyes
Mercredi 3 décembre 2025 à 20h au Sonic (Lyon 5e) ; 15€

