La Voix de Hind Rajab, conversation secrète
Les Témoins / L'horreur du réel retranscrite dans un thriller tragique et étouffant, qui s'autorise audaces et innovations dans sa mise en scène. Très fort.
Photo : La Voix de Hind Rajab © Jour2fête
Deux ans après Les Filles d'Olfa, Kaouther Ben Hania continue de creuser et d'inventer une forme exploitant la frontière poreuse entre documentaire et fiction. Elle signe ici un thriller en huis-clos relatant l'appel d'urgence à l'adresse du Croissant-Rouge palestinien d'une enfant de six ans, piégée dans une voiture sous les tirs à Gaza. Elle mêle les enregistrements réels de la voix de la fillette à une reconstitution intégrale jouée par des acteurs. Récompensé du Grand Prix du Jury à la dernière Mostra de Venise et adoubé par de nombreux poids lourds (Brad Pitt, Joaquin Phoenix, Alfonso Cuarón ou Jonathan Glazer), La Voix de Hind Rajab se montre puissant, direct et sans détour.
Appel d'urgence
Kaouther Ben Hania confond le réel et la fiction de manière bluffante. Le dispositif sophistiqué est presque invisible à l'écran. Son choix de privilégier l'authenticité maximale à la quête effrénée de performance filmique, rend l'immersion immédiate. L'efficacité sèche de sa mise en scène rappelle le cinéma de Kathryn Bigelow par sa faculté à partir d'une situation critique (et indiscutable) afin de déployer un langage cinématographique imparable. La caméra portée accompagne des personnages à cran, plongés dans l'ébullition du siège du Croissant-Rouge et ne laisse aucun répit au spectateur. La réalisatrice fait le pari audacieux de multiplier les sources et couches d'images de l'événement dans une mise en abyme croissante et vertigineuse. Elle entend ainsi reprendre le contrôle narratif d'une situation épouvantable. In fine, nous nous retrouvons dans la même configuration que ces bénévoles, situés à des kilomètres du conflit, contraints d'entendre et d'assister impuissants à une tragédie que l'on ressent viscéralement. Dans une optique de décence artistique, l'horreur n'est jamais montrée, elle reste hors-cadre mais elle habite pourtant chaque instant.
La mort en ligne
La grande force du film est d'éviter toute dénonciation théorique ou abstraite pour amorcer, par l'action et l'action seule, le début d'une réflexion. L'intensité du thriller en quasi-temps réel est opposée au hors-champ d'un événement insoutenable. La cinéaste refuse les ressorts faciles et prévisibles, afin de privilégier les éléments les plus tangibles. À la brutalité du conflit, elle préfère mettre la lumière sur les victimes, dommages collatéraux sacrifiés sans remords. Elle dépeint deux enfers. Celui concret de morts gazaouis, rendus ici invisibles (une simple ligne sonore qui se superpose parfois aux images) et pourtant omniprésents, rencontre un maelström bureaucratique, quant à lui parfaitement palpable, qui rend impossible tout espoir de salut pour les innocents exposés. Une œuvre qui fera date.
La Voix de Hind Rajab
De Kaouther Ben Hania (Tunisie, France, 1h29) avec Amer Hlehel, Clara Khoury, Motaz Malhees...
En salle le 26 novembre 2025.

