Expositions d'octobre : paysages, récits et résistances

Publié Mardi 30 septembre 2025

Sélection / Entre échecs fascinants, récits cosmiques effacés, paysages en corrosion ou figures ressurgies des marges, les expositions lyonnaises et métropolitaines explorent l'instabilité des formes et la fragilité des mémoires. Du textile à la vidéo, de la céramique à la photographe documentaire, elles déploient un champ d'expériences où l'art se fait à la fois lieu de résistance, de réinvention et d'incarnation vacillante.

Photo : Vue de l'exposition de Rajni Perera et Marigold Santos ''Efflorescence, The Way We Wake'', 2024, Fondation PHI © ADAGP, Paris 2024

Trouble shooting

Art vidéo / À travers ses courtes vidéos virales de destruction, Jan Hakon Erichsen érige l'échec en principe opératoire. Ses machines dérisoires, oscillant entre bricolage dadaïste et arte povera domestique, composent un théâtre d'inefficacité où le banal se mue en métaphore. Équilibriste de l'absurde, l'artiste norvégien avance sur une ligne de crête instable, tracée entre les versants de la vacuité et du désir. Les objets familiers, détournés jusqu'à l'épuisement, révèlent leur potentiel latent : porteurs d'accidents, générateurs de fragilité, catalyseurs d'un rire inquiet. Erichsen façonne ainsi une esthétique de la limite, où le quotidien devient scène, déployant une tension jubilatoire entre la folie du geste et l'exactitude du dispositif.

Jan Hakon Erichsen, Trouble shooting, 2025 - Galerie Masurel, Lyon ©Ghislain Mirat

Trouble shooting par Jan Hakon Erichsen
Jusqu'au 1er novembre 2025 à la galerie Masurel (Lyon 2e) ; entrée libre


Sidereus Nuncius

Art contemporain / L'exposition de Sohyun Park interroge les récits effacés qui relient l'humain au cosmos à travers un parcours immersif et poétique. Ses Chroniques de l'oubli prennent la forme d'une bibliothèque parallèle de langues et d'étoiles révoquées de la norme historique, où la broderie devient acte de sauvegarde autant que de réinvention. Avec Les Constellations obsolètes, vue du ciel de Rome en 1922, l'artiste exhume un firmament éclaté, recomposant la carte mouvante de ce que l'histoire officielle a gommé. Plus terrestres, ses Villes flottantes rappellent la précarité des habitats humains et l'instabilité des mémoires qu'ils portent. Entre observation savante et méditation mélancolique, l'exposition fait vaciller nos certitudes face à l'immensité du temps et de l'espace. À proximité de la salle d'exposition, s'est ouvert depuis quelques jours le « Petit coin de la documentation », espace de repos, de lecture, de médiation et de réactivation des archives de l'association.

 Sohyun Park, Les constellations obsolètes, vue du ciel de Rome en 1922, broderie sur tissu, 200 x 90 cm, 2024

Sidereus Nuncius par Sohyun Park
Jusqu'au 15 novembre 2025 à l'Attrape-couleurs (Lyon 9e) ; entrée libre


L'érosion du visible

Wunderkammer contemporaine / L'exposition conçue par la commissaire et artiste Guénaëlle de Carbonnières s'avance comme une lente combustion : le cuivre se creuse, le verre s'affaisse, le papier s'éteint dans son propre grain. Oscillant entre érosion et dissipation, les œuvres qui jalonnent l'espace confidentiel du premier étage ne fixent pas la mémoire mais l'exposent à sa corrosion, comme si l'image devait passer par la perte pour advenir. Ici, la méditation cède à la dérive : un champ où l'instable devient la seule surface habitable, où les conditions mêmes de la visibilité se confrontent à leur questionnement auroral.

Mélanie Faucher, Exploration 1, 2024

L'érosion du visible par Guénaëlle de Carbonnières, Flora Fanzutti, Mélanie Faucher, Jeanne Held, Yoan Lafragette
Jusqu'au 15 novembre 2025 au Cabinet des curiosités de la galerie Valérie Eymeric (Lyon 2e) ; entrée libre


With love

Installation / Entrer dans With love revient à franchir un seuil paradoxal : une pièce dans la pièce, dont le textile duveteux absorbe le bruit du monde et nous enveloppe dans un état quasi hypnagogique. Ici, l'éthos d'Alice Marie Martin se déploie dans une dramaturgie discrète : les ouvertures, à l'instar de vitraux opaques, filtrent le réel et le diffractent dans une intimité feutrée. Les lettres, rangées dans des poches et témoignages d'une correspondance à sens unique de l'artiste vers la directrice de l'espace d'art, portent la rature comme cicatrice et comme souffle. Elles s'offrent à la consultation tel un journal discontinu, où l'écriture intime se fait matière et tisse une mémoire fragmentaire, suspendue entre confession et fiction. Ainsi, l'installation ne présente pas seulement un corpus : elle invente une topographie du dedans, un abri narratif irrigué par la douceur du textile et la gravité de l'adresse, éprouvant la densité sensible de ce qui demeure d'ordinaire secret.

Alice Marie Martin - KOMMET, 2025 ©Alexandre Caretti

With love par Alice Marie Martin
Jusqu'au 15 novembre 2025 à Kommet (Lyon 7e) ; entrée libre


Every entrance is an exit

Art contemporain / Cet automne, la Salle de bains se mue en théâtre de marionnettes, rassemblées à l'instar d'un conclave discret. Des figures animales, sorties d'armoires de compagnies ou de vitrines muséales, prennent place face au public, laissant résonner d'anciennes fables autant que des querelles d'aujourd'hui. Le loup, à la fois menaçant et menacé, rencontre Guignol dans une arène traversée de voix qui rejouent la manière dont une société fabrique ses figures de peur ou de résistance. Ni conte ni leçon, Every entrance is an exit de Gina Proenza est un espace suspendu où l'on observe comment des figures reléguées aux marges reviennent hanter le présent, nous rappelant que toute histoire est toujours affaire de partage et de pouvoir.

© Gina Proenza, 2025

Every entrance is an exit par Gina Proenza
Jusqu'au 15 novembre 2025 à la Salle de bains (Lyon 1er) ; entrée libre


The most beautiful song

Mur peint et illustration / L'histoire d'amour entre Lyon et Jean-Luc Navette se poursuit, intacte, comme suspendue dans le temps. Dix ans après une première fresque - aujourd'hui disparue - le Marché gare renouvelle l'expérience en conviant à nouveau l'artiste afin qu'il investisse ses espaces intérieurs. Sur une paroi, surgit désormais le visage sans regard d'une femme, effigie spectrale arrachée aux canons glacés de l'american way of life des années 50. Une figure familière et pourtant inquiétante, comme un fantôme des suburbs, hantant le présent de son élégance défunte. Sa silhouette, auréolée d'une citation à la fois énigmatique et révélatrice, s'impose à la fois comme un repère visuel et une présence troublante dans les abords de la salle. Pour accompagner le dévoilement de cette œuvre, d'autres murs du Marché Gare accueillent The most beautiful song, une exposition d'une trentaine de pièces de Navette : illustrations, affiches et inédits (ces derniers bientôt rassemblés dans une nouvelle publication chez Banzaï). Une plongée dans un univers peuplé d'icônes crépusculaires et de visions obscures, où se croisent le vernis impeccable des fifties et les ombres qui en fissurent l'illusion.

Jean-Luc Navette, Greetings from home, 2021-2022, crayon sur papier, 42 × 29, 7 cm, photo © Jean-Luc Navette

The most beautiful song par Jean-Luc Navette
Jusqu'au 19 décembre 2025 au Marché gare (Lyon 2e) ; visitable les soirs de concerts


Brouhaha

Art contemporain / La traversée de l'exposition de Christian Lhopital s'amorce comme une déambulation dans un théâtre flottant, où les figures s'approchent sans jamais se résoudre à se manifester. Ni stables ni fugitives, elles habitent l'interstice où l'image résiste à sa propre clôture. Dissolvant toute polarité entre apparition et disparition, elles évoluent dans un champ d'indétermination, suggérant leur existence dans des volutes impalpables ou au gré des remous d'un maelstrom graphitique. Ainsi, les marges vides qui ponctuent murs et papiers instaurent un régime de possibles refuges : lieux d'accueil d'images dont le surgissement différé promet une incarnation qui ne rencontre jamais sa visibilité.

Christian Lhopital, Espaces troubles #01, 2023, poudre de graphite, crayon, gesso, mine de plomb, acrylique sur papier, 132x114 cm

Brouhaha par Christian Lhopital
Jusqu'au 20 décembre 2025 à l'URDLA (Villeurbanne) ; entrée libre


Whispering architectures

Sculpture / Entre dessin algorithmique, impression 3D et modelage traditionnel, Raphaël Emine façonne des écrins où la céramique se confronte à l'intrusion du vivant. À travers des architectures cristallisant la jonction parfaite entre anthropique et zooïque, entre l'artefact humain et la fabrication animale, ses habitats désagrègent toute hiérarchie afin d'activer une porosité entre les deux régimes. L'œuvre devient ainsi un véritable lieu vivant, résultat d'une technique hybride pouvant s'installer dans le rassurant cadre d'un espace d'art ou dans un organique terrain naturel, à la fois projet sculptural et protocole écologique.

©Raphaël Emine 

Whispering architectures par Raphaël Emine
Jusqu'au 20 décembre 2025 au Centre d'art Madeleine Lambert (Vénissieux) ; entrée libre


Efflorescence / Tel est notre éveil

Art contemporain / Incarnation de la connivence entre deux artistes liées par une histoire personnelle et familiale traversée d'échos diasporiques, Efflorescence / Tel est notre éveil qui se déploie autour de deux foyers. L'exposition s'ouvre avec Artifact, vaste frise en noir et blanc dont les dix mètres condensent une mémoire fragmentée. Des strates de fusain et d'encre, ponctuées de résonances et de vides, convoquent à la fois les savoirs ancestraux ainsi que les traces d'une histoire coloniale marquée par la dispersion. En contrepoint, l'œuvre éponyme de 2023 - première réalisée à quatre mains - cristallise l'étincelle initiale. Présentée en 2023 à l'Armory Show de New York, cette pièce collaborative fait résonner non seulement l'héritage individuel - sri-lankais pour Rajni Perera, philippin pour Marigold Santos - mais érige aussi en rituel de resignification une rencontre qui n'est ni fusion ni division, mais dialogue crépusculaire et résistant, où chaque geste s'affirme tout en s'ouvrant à l'autre.

Rajni Perera & Marigold Santos, Efflorescence/The Way We Wake, 2023 The Armory Show, New York, 2023 - Courtesy des artistes et Patel Brown, Toronto/Montréal  Photo: Mikhail Mishin © ADAGP, Paris 2023

Efflorescence / Tel est notre éveil par Rajni Perera & Marigold Santos
Jusqu'au 4 janvier 2026 au MAC (Lyon 6e) ; de 0 à 9€


Paysages immuables ?

Photographie documentaire / Témoignage du projet quinquennal conduit par l'Observatoire photographique des paysages de la vallée de la chimie du CAUE Rhône Métropole, l'exposition s'inscrit dans un faisceau de temporalités qui façonnent le territoire. Par un protocole de reprise systématique des mêmes points de vue, les images laissent apparaître des transformations discrètes : prolifération des infrastructures, fragmentation des espaces naturels, tentatives parfois fragiles de renaturation. Le paysage de la vallée de la chimie se révèle ainsi comme un espace d'ajustement permanent, où logiques industrielles et urbaines se confrontent aux aspirations écologiques et sociales, donnant à voir la précarité d'un équilibre toujours en devenir.

©Florent, Perroud, David Desaleux, CAUE

Paysages immuables ? 5 ans d'observation photographique dans la vallée de la chimie
Jusqu'au 10 janvier 2026 à la Bibliothèque de la Part-Dieu (Lyon 3e) ; entrée libre