Sisyphe à Étretat
Art moderne / Toujours sur le motif crayeux et la mer alentour, recommencer. Pendant plus d'un siècle, des artistes majeurs (Courbet, Monet, Matisse...) viennent à Étretat expérimenter leurs visions novatrices du paysage, faisant de ce village perdu un laboratoire de la modernité. L'exposition du Musée des Beaux-Arts relate cette aventure exceptionnelle.
Photo : Claude Monet, Etretat, l'Aiguille et la Porte d'Aval, 1885 Pastel sur papier, 22, 2 x 40, 1 cm. Collection particulière Courtoisie photo Sotheby's
Il était une fois, niché sur la côte normande, un petit village de pêcheurs, difficile d'accès et inconnu de tous. Au début du 19e siècle, un, puis deux, puis trois, etc., artistes peintres, découvrent Étretat et s'extasient devant ses falaises de craie, ses trois arches monumentales et son aiguille plantée dans l'eau. Plusieurs générations d'artistes, connus ou inconnus, vont donner à ce site sa popularité, jusqu'à ce qu'il devienne même, à la fin du 20e siècle, un lieu de sur-tourisme !
L'exposition du Musée des Beaux-Arts tend à montrer qu'Étretat sera aussi un véritable laboratoire de la modernité artistique, voyant s'y succéder rien moins que Delacroix, Corot, Courbet, Monet, Matisse. « Un véritable "village d'artistes" se constitue peu à peu, à l'égal de Barbizon pour la forêt de Fontainebleau ou de Pont-Aven pour la Bretagne, dans un cadre chronologique plus large. Du romantisme à la modernité se lisent ici les évolutions de la perception et de la représentation du paysage, en un site unique. » écrivent les commissaires d'exposition dans le catalogue dédié à l'exposition.
En 1831, le peintre Eugène Lepoittevin (1806-1870) y fait carrément construire une villa et un atelier sur le front de mer. Ses tableaux, plein de vie et de couleurs, témoignent du travail quotidien des pêcheurs, et de l'apparition de la pratique (touristique et thérapeutique) des bains de mer. Tout un espace de l'exposition lui est consacré au sein d'un parcours chronologique qui commence avec les très belles études d'Eugène Isabey, de Delacroix et de Johann Wilhelm Schirmer, pour se terminer par des œuvres d'Henri Matisse, fruits d'un séjour effectué par le peintre durant l'été 1920.

Un trio de choc et de roc
L'exposition connaît un premier point d'orgue avec la très grande salle consacrée aux falaises et aux vagues de Courbet, avec des toiles rarement présentées ensemble. Courbet séjourne à Étretat à la fin de l'été 1869 où il essuie une puissante tempête, tempête qui lui donne l'idée de La Vague et de ses multiples variations. Invité par Courbet dans sa maison, Maupassant y décrit « un gros homme graisseux et sale collant avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche sur une grande toile nue. De temps en temps, il allait appuyer son visage à la vitre et regardait la tempête. La mer venait si près qu'elle semblait battre la maison enveloppée d'écume et de bruit. » Ces œuvres feront le succès de Courbet, notamment son plus grand tableau, La Falaise d'Étretat après l'orage, présenté au Salon de 1870 (une manifestation artistique exposant les œuvres des artistes agréés originellement par l'Académie royale de peinture et de sculpture créée par Mazarin, puis par l'Académie des beaux-arts).
Quelques années plus tard, entre 1883 et 1886, le jeune Monet peint un ensemble de quelque 80 toiles sur le motif des falaises. L'artiste sportif peint sur le motif dans des conditions périlleuses, et développe son goût pour la série, variant les points de vue, et les luminosités en fonction des heures du jour et des saisons. À Étretat, il inaugure ce qui sera la "marque de fabrique" de son approche impressionniste du paysage.
Après la monumentalité grandiose des toiles de Courbet et de Monet, les œuvres de Matisse réalisées en 1920 paraissent bien riquiqui. Pourtant, ce sont sans doute celles qui nous touchent le plus, les paysages se délitant soudain et ne tenant plus qu'à un fil. Falaises, pêcheurs, blanchisseuses, poissons, bateaux sont tout entiers contenus dans quelques traits et masses de couleurs. La vie y prend une dimension d'intenses fragilité et de simplicité, presque miraculeuse sur fond d'étrangeté.
Étretat par-delà les falaises
Jusqu'au 1er mars 2026 au Musée des Beaux-Arts (Lyon 1er) ; de 0 à 12€

